mercredi 4 mars 2009

Lecture. Faire classe # 23

Il existait jadis dans les bibliothèques un lieu qui recueillait les livres interdits : l’enfer.
Il se paraît ainsi de tous les attraits.
Dans beaucoup de familles le même usage sévissait : il fallait avoir lu quelques classiques avant de dévorer en cachette le moindre Yan Fleming (c’était Bond).
Pour appâter le client, quelques rescapés de ces temps de frustrations et donc d’envies ont pensé mettre le polar à la portée des nourrissons.
Ces briseurs de tabous déjà morts, ces tueurs de fantômes de pimbêches moralisatrices d’un autre siècle, ont disposé en tête de gondole des romans prêts à penser : « ma sœur se drogue », « mon frère est homo », « mon père est ouvrier », « ma mère fait même la cuisine »,« mon grand-père est trotskiste »…
Ils ont été les premiers à souligner que Cendrillon participe à un conte cruel, et que le chaperon persiste en rouge mais ils n’ont jamais tant parlé de littérature enfantine que lorsqu’ils tentaient de l’assassiner.
Les modes d’emploi supplantent la poésie.
Les réponses arrivent avant les questions.
Les prescriptions trop précoces durcissent les consciences.
Si le paradis enfantin tourne parfois au vert, il ne se teint pas en noir total comme Yann Pavloff nous le décrit.
Lecture en CM2:quelques trucs, quelques tics, quelques traces :
- Donner un outil de repérage quantitatif des romans lus, cette liste est un moyen pour dialoguer avec l’élève, et mesure pour beaucoup le chemin parcouru. Il arrivait que des lecteurs en herbe dépassent une centaine d’ouvrages de plus de 100 pages dans une année scolaire. Le nombre de romans lus figurait sur le bilan trimestriel. Peuvent se relever, à part, sur un autre support, les titres des bandes dessinées découvertes. Cela concerne les livres de toute provenance (fond de classe, bibliothèque, maison…)
- A la fin de l’année scolaire dans la classe de CM1 qui passera en C.M. 2 à la rentrée, j’invitais à rédiger une fiche de lecture pour un roman, une sorte de devoir de vacances pour amorcer la liste de l’année à venir. J’exigeais un résumé en trois phrases maximum, différent de la quatrième de couverture, une argumentation pour justifier son choix.
« Comme un roman » de D. Pennac nous aide en donnant le droit de ne pas aimer un livre et de l’abandonner. Alors, il ne reste plus qu’à apprécier.
Il fut fort mal vu à une époque de lire des textes aux élèves et eux-mêmes se devaient de ne pas lire à haute voix. D’avoir traversé tant de modes qui se révélèrent ridicules, j’aurai tendance à cultiver le bon sens volontiers basique donc :
- lire des passages, des pages, des livres aux élèves.
Laissons pour les intervenants extérieurs d’autres taches que celle qui touche au cœur du métier. Nous sommes invités chaque jour à investir (cling !) des domaines nouveaux au rythme des engouements médiatiques d’un jour, et nous délaissons les bases. Tout floue le camp !
« Ah ! La brave petite chevrette, comme elle y allait de bon cœur ! Plus de dix fois, je ne mens pas, Gringoire, elle força le loup à reculer pour reprendre haleine. Pendant ces trêves d’une minute, la gourmande cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe ; puis elle retournait au combat, la bouche pleine… Cela dura toute la nuit. » A.Daudet
A quarante ans, nous sommes en mesure de juger par nous-même que madame Bovary peut accéder au titre de chef-d’œuvre alors que ce fut la bouche de Lagarde et Michard qui l’exprima à l’époque où il fallait émettre sur la question. La culture s‘édifie peu à peu, elle se constitue de beaucoup de reconnaissances, y compris de productions qui nous ont été indifférentes. J’écoute beaucoup mieux des musiques déjà entendues, proposées par des passeurs voire des repasseuses, professeurs à plein temps. Quel plaisir de s’appuyer sur des références, mesurer les évolutions ! Nos goûts présumés personnels se mitonnent avec les conformismes de l’heure.
De garder trop le nez dans les livres, « on se fait des films » où l’on se voit volontiers en tant que membre d’une caste en voie de disparition mais tellement distinguée. Si la fréquentation des librairies, des bibliothèques devient moins naturelle, nous perdrons de nos capacités à approfondir le temps, à peser subtilement nos connaissances des humains. Les brillances des écrans appellent la vitesse, les ricanements.
Dans des lieux dits d’expérimentations, les enfants apprenaient, disait-on, à cuire des gâteaux en classe alors que les parents étaient invités à installer l’apprentissage de la lecture après leurs heures de travail. Il leur était recommandé de montrer l’exemple de leur appétit de lecture. Est-ce que l’usage du livre, du journal est en voie d'épuisement chez les enseignants ? Où les intellectuels du terrain vont-ils aller pour happer des idées, des réflexions, des certitudes ?
Tragique impudence des mots quand nous employons le même terme « illettrisme » pour désigner les enfants dans le monde qui ne savent pas lire parce que leur pères achètent plus volontiers des armes que des crayons et pour les nôtres pour qui l’activité d’apprentissage est contrariante. Il faudra leur dire que le savoir est une arme. La corrélation entre le développement d’un pays et son taux d’alphabétisation n’est-elle pas assez évidente que le pourcentage d’enfants ne maîtrisant pas bien la lecture ne suscite pas plus d’indignation !
Pour notre zone hors les murs de la ville centre, le travail soutenu par les bibliothécaires assure une continuité entre l’école et ce pôle culturel du quartier. L’apprentissage du bon usage de la bibliothèque favorise les recherches personnelles, arase les différences sociales avec des animations inventives et riches, le suivi de prêts. Nous avons mené des défis lecture accélérateurs.
- Défi lecture : pendant une période de deux mois un lot d’une vingtaine de livres en double exemplaire est mis à la disposition des élèves séparés en deux équipes. Les compétiteurs doivent élaborer des questions pour leurs rivaux. Peut se jouer avec une classe parallèle, les correspondants…
Deux temps forts closent la période : l’un festif accompagné de sirop et bonbons présenté sous forme de jeu (« trivial pursuit », « question pour un champion »…) avec buzzer et applaudissements, les deux équipes s’affrontent collectivement en une mobilisation joyeuse.
L’autre dans les rites scolaires où s’évalue l’efficacité de lecture à travers quatre questions pour cinq livres (dont des B.D.). Chaque élève reçoit sa liasse de questions personnalisées.
La proximité de la bibliothèque intégrée à la maison d’école facilitait les demi-groupes propices à des entretiens individuels autour du livre que l’élève détenait pour l’heure dans son île.
- Chaque semaine amène son quatre pages de lecture silencieuse autour de thèmes liés au calendrier : rentrée des classes, Noël, 1er avril et 1er mai et des sujets abordés dans d’autres matières : les planètes, la poste, Napoléon, l’appareil photo… pour varier les types de textes : dialogues, recettes, documentaires, mode d’emploi, articles de journaux, récits qui engagent à des corrections tout au long de la semaine. Une corbeille reçoit tous les travaux exécutés dans un délai d’une semaine. Les questionnaires recueillis sont corrigés dès leur dépôt. Pour ceux qui ont attendu la dernière échéance et ceux qui n’ont pas apporté les réponses satisfaisantes : correction collective. Les autres bénéficient tranquillement d’un temps de lecture libre.
Des livres en lecture suivie s’étalent sur une quinzaine de jours voire un mois pour avancer au rythme de la classe : « L’œil du loup » de Pennac, l’inusable « Claudine de Lyon » de Marie Christine Helgerson captive toujours mes C.M. 2 : 1880 dure condition d’une petite fille de canuts, son désir d’école…
Quels livres pour les jeunes lecteurs ? :
Certes le marché regorge de produits à la recherche d’un créneau, leur style court après la dernière mode et se démode ainsi « hyper »vite : ces clips de papier ne mènent nulle part. Sûrement pas à la littérature, celle qui nous élève au-dessus de notre ombre, de nos soucis immédiats, qui nous donne les clefs pour comprendre le monde, enchanter nos jours. Heureusement il est de belles réussites sensibles, attractives, où l’auteur ne prête pas systématiquement aux enfants ses « à priori » d’adultes.
La semaine prochaine sur le blog une liste de livres pour les écoliers.

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