vendredi 29 janvier 2010

La colline des anges

Le reporter humaniste Guillebaud et le photographe sensible Depardon sont revenus au Viet Nam en 1992 sur les lieux de la guerre qu’ils avaient « couverte ». L’idée est excellente de mesurer le temps qui passe comme l’éclair en ce lieu majeur de la fin du siècle précédent : une station service a été construite à l’endroit où un ami disparut.
J’attendrai avec curiosité leur production si dans deux ans ils refaisaient le coup de vingt ans après, vingt ans après. Leur vision, encore très marquée par la césure entre deux Viet Nam, s’enrichit en découvrant Hanoi avec émerveillement « une fleur qui s’ouvre », alors qu’il subsistait tout au long de ce retour au pays de la violence déchaînée, une certaine méfiance envers les communistes.
Le touriste y retrouvera de belles impressions « Ce Vietnam de la rivière des Parfums, n’est ni celui, affairé et cynique, de Saigon, ni celui lugubre, de Da Nang, ni celui des rizières, éternel et têtu, ni celui, plus austère, du Nord. Huê, aujourd'hui comme hier, incarne une nonchalance sûre d’elle-même, un orgueil pacifique campé sur un passé impérial que rameute la moindre conversation ».
C’est bien plus qu’un supplément au Lonely Routard. La diversité des angles, l’honnêteté des deux compères rendent ce livre toujours d’actualité et particulièrement juste dans la description du rapport des occidentaux en visite à l’étranger :
« Mais voilà que remontent en nous des sentiments plus ambigus. Il suffit d'un rien. Un groupe de touristes occidentaux passe sur le trottoir, involontairement hideux avec leurs shorts fluos, leurs débardeurs salés de sueur, leurs casquettes et leurs sacoches-bananes sur le ventre. Les voir traquer pesamment le pittoresque dans Hô Chi Minh-ville, s'extasier sur la moindre pouillerie et compter leurs dongs dévalués comme une aubaine, nous replonge illico dans un vieux débat. Rien de telle que cette obscénité arrogante du touriste - cette caricature de soi-même - pour réveiller quelque chose comme un scrupule.
Ne prenons nous pas pour une « couleur locale » ce qui n'est que l'énergie d'un désespoir ? Allons-nous, à notre tour, nous ébahir de découvrir l'autre si de différent et enrubanner d'adjectifs une misère des rues « tellement plus vivante que chez nous » ? La réponse va de soi : il faut peindre avec un petit pinceau.
A Saigon, comme ailleurs, la vérité est faite de plusieurs approximations tenues ensemble, elle est au moins double ou triple, compliquée, ambiguë. … Tous ces gens autour du café Kem Bach Dang, ces commerçants débrouillards, ces gosses infatigables, ces marchandes de soupe, ces « vainqueurs du communisme » sont aussi les habitants d'un pays pauvre parmi les pauvres.
Leur vitalité, c'est une cavale derrière trois sous. »

L’éditorialiste pépère d’aujourd’hui peut se permettre la reprise d’un de ses articles de 72 et passe brillamment l’épreuve redoutable du temps qui va de la passion d’alors à nos désillusions présentes. Ce livre rendu encore plus agréable et fort avec les photos du Raymond du Garet comporte bien des facettes qui le rendent passionnant et émouvant.

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