dimanche 12 avril 2015

Histoire d’une vie. Aharon Appelfeld. Bernard Levy.

« Où commence ma mémoire ? Parfois il me semble que ce n’est que vers quatre ans, lorsque nous partîmes pour la première fois, ma mère, mon père et moi, en villégiature dans les forêts sombres et humides des Carpates. D’autres fois il me semble qu’elle a germé en moi avant cela, dans ma chambre, près de la double fenêtre ornée de fleurs en papier. La neige tombe et des flocons doux, cotonneux, se déversent du ciel. Le bruissement est imperceptible. De longues heures, je reste assis à regarder ce prodige, jusqu’à ce que je me fonde dans la coulée blanche et m’endorme. »
Au petit théâtre de la MC2, l’acteur Thierry Bosc, seul en scène pendant une heure et quart, nous fait partager  le passé  douloureux d’un israélien devenu écrivain, prix Médicis, mais surtout sa recherche des mots justes, préférant les hésitations à la fluidité.
Du fond de la douleur reviennent de belles leçons, quand il parle de son grand père :
« J'allais le voir une fois par jour, il me caressait la tête et me montrait les lettres du livre qu'il étudiait et il me racontait une petite histoire ou un dicton. Un jour, il me raconta un proverbe que je ne compris pas; selon ses vœux je ne l'interprétais pas correctement et il me dit: « Ce n'est pas important, l'essentiel est d'aimer ce matin. »
Son aventure n’appartient qu’à lui : rescapé des camps, orphelin, il survit dans les forêts d’Ukraine  avant de débarquer à 14 ans en Israël. Son écriture élémentaire peut être partagée :
« Plus de cinquante ans ont passé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le cœur a beaucoup oublié, principalement des lieux, des dates, des noms de gens, et pourtant je ressens ces jours-là dans tout mon corps. Chaque fois qu’il pleut, qu’il fait froid ou que souffle un vent violent, je suis de nouveau dans le ghetto, dans le camp, ou dans les forêts qui m’ont abrité longtemps. La mémoire, s’avère-t-il, a des racines profondément ancrées dans le corps. Il suffit parfois de l’odeur de la paille pourrie ou du cri d’un oiseau pour me transporter loin et à l’intérieur. »
Le grand corps de l’acteur s’inscrit dans un décor au plafond bas dont les parois s’éclairent de silhouettes d’arbres, d’écritures, sobres et belles, sur fond de musiques agréables et subtiles.
Au-delà des commémorations de la libération des camps, de la condition juive, les débats actuels sur l’identité, la construction de la mémoire, de soi même, ce qui s’appelle le vocabulaire d’une langue, la barbarie, résonnent en profondeur. 

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