samedi 3 octobre 2015

Réparer les vivants. Maylis de Kerangal.

Les 280 pages, de ce livre admirable, développent, et ce n’est pas une petite entreprise, le titre fort, juste et précis, comme chaque mot de cette œuvre célébrée par tant de critiques.
Le succès éditorial aurait pu desservir ce bijou humaniste : quand on attend trop d’un livre ou d’un film, c’est encore plus difficile d’être à la hauteur.
Bien sûr les circonstances de lecture au moment de l’opération de l’amie qui me l’avait offert, ont ajouté à une émotion qu’il faut mettre à distance en s’accordant une pause de temps en temps, bien que le pathos ne soit pas le genre de l’auteur de « Naissance d’un pont ».
La littérature est un beau remède quand elle dit le monde d’aujourd’hui en nous élevant au dessus du blabla ambiant.
Tant de personnages contradictoires, faillibles, passionnés décrits ici avec empathie, participent à une entreprise magnifique de précision, de délicatesse : réparer les vivants.
«… la situation est irréversible - elle déglutit en pensant à ce mot qu'il lui faudra articuler, irréversible, quatre syllabes qui vitrifient l'état des choses et qu'elle ne prononce jamais… »
Grâce à la poésie se revisitent des sujets fondamentaux : pour recevoir il faut des donneurs, alors que désormais la mort loge dans le cerveau et ne tient plus à un arrêt du cœur.
Beaucoup a été dit, et bien dit, sur le style, mais cette écriture chaleureuse, bien renseignée ne se sépare pas du contenu, elle n’est pas un procédé ; haletante, elle est accordée au rythme des vies précieuses dont chaque minute est savoureuse.
Quand tant de mots, ailleurs, dénigrent l’hôpital, ce travail redonne confiance en l’homme, en notre société sophistiquée qui progresse, malgré tout, vers le mieux être, trompant la mort alors que d’autres l’alimentent avec tant de jouissance.
Sean et Marianne sont les parents du jeune Simon dont le corps va être vidé, ils rencontrent Thomas Remige un infirmier :
« Sean et Marianne sont installés côte à côte dans le canapé, gauches, intrigués bien qu’ébranlés, et sur une des chaises vermillon, Thomas Remige, lui s’est assis, le dossier médical de Simon Limbres tenu entre les mains. Cependant ces trois individus ont beau partager le même espace, participer de la même durée, en cet instant, rien  n’est plus éloigné sur cette planète que ces deux êtres dans la douleur et ce jeune homme venu se placer devant eux dans le but - oui, dans le but- de recueillir leur consentement au prélèvement d’organe de leur enfant. »

2 commentaires:

  1. C'est marrant que tu écris cela, Guy, au moment même où je prends la décision lourde... irréversible ? irrémédiable ? de ne plus aller à l'hôpital, et de restreindre sérieusement toute forme de "soin" allopathique, malgré mon héritage très lourd, côté ascendance, horizantalité et descendance.
    On verra bien où cela me mène.
    Pour tromper la mort... je ne souhaite pas tromper la mort.
    Je dis même maintenant que j'estime avoir... assez vécue.
    Pensée égoïste ? Probablement très égoïste.
    Mais pensée qui est la mienne en ce moment.
    Et je ne m'estime pas du tout nihiliste en ayant cette pensée...

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  2. Respectable, mais aussi décision assortie de points d'interrogation qui laissent au temps et à la sagesse des uns et des autres de modifier ton regard pour éviter "l'irréversible" qui est mis en exergue dans le texte de ce beau livre, ces décisions gravées dans le marbre qui contrediraient ce que je sais de toi qui sais tellement apprécier la liberté et la faire partager.

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