jeudi 7 avril 2016

Zurbaran et le ténébrisme européen. Jean Serroy

Le troisième volet du cycle consacré aux « maîtres de l’ombre et de la lumière » devant les amis du musée de Grenoble nous conduit en Espagne et aux Pays Bas, si proches en ce XVII° siècle, siècle d’or.
A l’époque de la contre réforme, les commandes affluent de la part des ordres monastiques : Zurbarán le peintre de la solitude et du mysticisme connait une carrière prestigieuse. 
Basé à Séville, il fait parfois le voyage à Madrid où il retrouve son ami Vélasquez.
Si son style évolue sous l’influence du maniérisme, il n’abandonne pas le ténébrisme, bien qu’il n’ait pas entrepris de voyage en Italie.
Ses « natures mortes » dont la dénomination dans d’autres pays : « vie silencieuse», lui conviendrait parfaitement, sont rares mais puissantes.
« Plat avec citrons, panier avec oranges et tasse avec rose » est minimaliste, la nature stylisée.
Comme dans  ses « Tasses et vases», les objets sont sélectionnés en fonction de leur volume. Le soin apporté aux ustensiles du quotidien se retrouve dans d’autres œuvres, bien au delà des natures mortes espagnoles, dites « bodegón », de bodega : lieu de rangement alimentaire.
Posé également sur une planche, « L’agneau de Dieu » est à la fois réaliste dans le traitement minutieux de sa toison et résigné comme animal sacrifié.
Peint pour les dominicains, « Le Christ en croix », habillé de blanc lumineux aux plis baroques, sur fond noir, va à l’essentiel ; sa souffrance est contenue.
« Saint Luc en peintre devant la Crucifixion » est considéré comme l’auto portrait du « pintor de imagineria », là encore le bois de la croix est mal équarri et les pieds, cette fois croisés, sont cloués séparément.
Le jeune Jésus dans « La maison de Nazareth » vient de se piquer au doigt en confectionnant une couronne d’épines, sa mère jette un regard évocateur.
Dans l’ « Apparition de saint Pierre à saint Pierre de Nolasque », la lumière coule à flots pour accompagner les paroles du premier pape :
« Je viens à toi puisque tu ne peux venir à moi. »
« Saint Sérapion » qui devait racheter les esclaves chrétiens pris par les Sarrazins, avait subi un martyr affreux : démembré, crucifié, éviscéré, décapité. Il apparait consentant, déjà bienheureux.
Toute une série de « Saint François » en méditation ou en extase, à la sortie de sa crypte funéraire, le visage souvent caché, environné de ténèbres, jusque dans ses plis, caractérise le style du peintre acétique. La composition en triangles dans la version du musée de Lyon, accentue la grandeur de l’immortel.
Si Ribalta, le catalan, a lui aussi peint « Saint François réconforté par un ange », je retiens plutôt  « Le Christ embrassant saint Bernard de Clairvaux ». Le maître de Ribera avait copié Le Caravage.
José de Ribera  qui vécut à Naples, un des foyers du ténébrisme, reçut là bas le sobriquet de « Lo Spagnoletto », son « Prométhée »  puni pour avoir défié les Dieux servira ici de contrepoint.
Le Flamand Honthorst, surnommé  « Gherardo delle notti », fondateur de l’École caravagesque d'Utrecht, fait surgir la lumière du corps même du christ. « L’adoration des bergers » est adorable de douceur, d’humanité.
La « Vieille femme examinant une pièce de monnaie à la lumière d’une lanterne », tellement expressive, cherchant à discerner le vrai du faux, se repère parmi des scènes de « Joyeuse compagnie », « Concert », avec « Entremetteuse », « Joyeux violoniste au verre de vin » et autres « Tricheurs »…
Chez Pieter Claesz, l’approche des rayons qui se difractent dans un verre ajoute la virtuosité à la leçon de morale  dans « Nature morte à la bougie se consumant »
Le « Reniement de saint Pierre » a été souvent traité, il fut un sujet de prédilection pour Gérard Seghers.
« La servante:
- Toi aussi, n'es-tu pas des disciples de cet homme?
Il dit:
- Je n'en suis point. »
Rembrandt, c’est son prénom, remplit ses toiles aux tonalités dorées, dans « Aristote contemplant le buste d’Homère », le philosophe en habits renaissance retrouve le poète.
« Cette lumière devenue or est aussi celle du soleil couchant. Avec Homère, le soleil se levait sur la Grèce, il se couche avec Aristote, le dernier témoin de la gloire d'Athènes, l'auteur de la synthèse ultime et, par là, le précepteur de la postérité occidentale » Jacques Dufresne
……………
La photographie sous le  titre provient du site « flickriver »

1 commentaire:

  1. Merci de te faire passeur pour nous, Guy.
    J'ai dit ailleurs il y a quelques jours qu'il est tristement inévitable que, dans le cours d'une civilisation, progressivement les Homères cèdent la place aux Aristotes... Même si les Aristotes sont géniaux, ils n'ont pas le génie des Homères, et le génie des premiers ne pourra jamais remplacer le génie des seconds.
    On peut se penser tolérants, et dire qu'il faut des Homères ET des Aristotes, mais... je ne suis pas si sûre que les Aristotes tolèrent les Homères, dans la mesure où ils sont peut-être le symptôme d'une détérioration du génie des Homères.
    Enfin, il nous reste la belle peinture pour nous en consoler, n'est-ce pas ?
    La consolation, c'est déjà beaucoup. Soyons reconnaissants pour notre consolation.

    RépondreSupprimer