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samedi 6 avril 2024

Ravel. Jean Echenoz.

Dans la même semaine, j'ai vu le film « Le boléro » puis lu le livre sorti en 2006, peut être que j’aurai dû intervertir l'ordre. 
« Mozart était tellement précoce qu'à 15 ans il avait déjà composé le Boléro de Ravel »  
Pierre Desproges
Mais on peut accorder toute confiance à l’écrivain que le réalisateur avait sûrement lu. 
Nous sommes tout de suite à la fin des années 20, il y a cent ans : 
« En arrivant au bout de la rue de la pépinière on aperçoit ainsi, s'engouffrant dans la rue de Rome, une longue Salmson VAL3, bicolore et profilée comme un escarpin de souteneur. »
Le portrait de l’auteur du Boléro est riche bien que centré sur les dix dernières de sa vie. 
 « Il a toujours été fragile de toute façon. De péritonite en tuberculose et de grippe espagnole en bronchite chronique, son corps fatigué n'a jamais été vaillant même s'il se tient droit comme un i sanglé dans ses costumes ajustés. Et son esprit non plus, noyé dans la tristesse et l'ennui bien qu'il n'en laisse rien paraître, sans jamais pouvoir s'oublier dans un sommeil interdit de séjour. »
Il n’y a pas que le Boléro ! 
« Cet objet sans espoir connaît un triomphe qui stupéfie tout le monde à commencer par son auteur. Il est vrai qu'à la fin d'une des premières exécutions, une vieille dame dans la salle crie au fou, mais Ravel hoche la tête : En voilà au moins une qui a compris, dit-il juste à son frère. » 
Plutôt  que l’illusion de percer des secrets de fabrication de succès planétaires, nous partageons les affres d’un créateur exigeant, perdant ses mots et sa musique jusqu’à sa trépanation. Avant ses souffrances ultimes, quelques notations permettent de sourire, lors de son voyage en Amérique : 
« …on fait trois brefs discours auxquels il n’entend rien, n’ayant aucune oreille pour les langues étrangères à l’exception du basque. »
Le génie reconnu, applaudi reste terriblement seul. La compréhension de ses œuvres parait parfois difficile, même pour « Le concerto pour la main gauche », écrit pour un pianiste ayant perdu son bras droit à la guerre, le frère du philosophe Wittgenstein, qui avait trop arrangé, ornementé, la partition du maître : 
« Quand Wittgenstein, vexé, lui écrit en retour que les interprètes ne doivent pas être des esclaves, Ravel lui répond en cinq mots. Les interprètes sont des esclaves. »

vendredi 5 avril 2024

La France sous nos yeux. Jérôme Fourquet Jean- Laurent Cassely.

Cet ample panorama sociologique se lit comme un roman, étayant ses nombreux tableaux
( évolution de la répartition sectorielle des 500 plus grandes fortunes françaises…) 
et cartes (implantation des boulangeries Marie Blachère…)
de zooms colorés et précis ( La Ciotat, des chantiers navals aux promoteurs immobiliers…).
Un échantillon des cartes de visites laissées dans un espace de coworking d’Aix-en-Provence illustre la floraison des nouveaux métiers de l’économie du bien-être :  
« Facilitateur humaniste, Praticienne en bio-résonnance cellulaire, Weeding planeur, Facilitatrice de changements… » 
Le style est plaisant quand pour décrire les services à la personne est employé le terme « ancillaire », très XIX° siècle, alors que pour les livreurs de repas « Portefaix 2.0 » convient parfaitement.
Même les notes en bas de page sont éclairantes, à propos de l’évolution des banlieues: 
«  …  les bergers allemands des pavillons ont souvent laissé la place aux pitbulls et autres rottweilers des cités. » 
voire cocasses : 
« On trouve également sous ce statut (d’auto entrepreneurs) des profils de cadre ou de consultants freelance, mais ils ne constituent pas «  la majorité de l’espèce » pour parodier la formule d’Audiard à propos des poissons-volants. »
Quelques formules, de vraies « punch line », sont bien vues : 
« Dans l’île de France d’après, le bougnat a souvent été remplacé par un bistrotier kabyle ou originaire du Zhejiang »
« Dans la Bretagne d’après, la tournée des festivals a pris la suite des pardons et du Tro Breiz d‘antan. »
« Le salarié d'entrepôt incarne le prolétariat d'aujourd'hui comme le "métallo" symbolisait celui d'hier. » 
Les points de vue, les clins d’œil, nous mettent en appétit : 
« On trouve des restaurants MacDo aux adresses suivantes : rue de Stalingrad à Bobigny, boulevard Maxime Gorki à Villejuif, avenue Paul-Vaillant-Couturier à la Courneuve… »
« Le grand remplacement musical n'a donc, pour l'heure, pas eu lieu, même si le créneau qu'occupe désormais la variété orientée pop-rock a son pendant sur la scène gastronomique, certains chanteurs étant devenus, en quelque sorte, des "blanquettes de veau" (résistant au renouvellement des modes mais à l'état de niche). » 
Les chiffres impitoyables documentent les changements, et la liste semble exhaustive, dans la « France de l’ombre », d’Amazon et du Bon Coin ou celle de la « France triple A », des piscines, avec une classe moyenne déclassée ou en montée de gamme : 
« Dans la France d’après, le zoo-parc de Beauval et ses pandas constituent donc une destination touristique plus fréquentée que le château de Chambord tout comme Disneyland Paris surclasse nettement le musée du Louvre ou le château de Versailles. » 
Leur description des différentes couches culturelles constituant notre pays est passionnante, depuis la roche mère catholique qui affleure de moins en moins, au dessus de laquelle persistent des identités régionales, un zeste de culture yankee (danse country), voire japonaise (mangas), orientale (kebab)… 
« A l'instar des différents types d'architecture et d'urbanisme qui se sont superposés au fil du temps sur notre territoire, les modes de vie et les références culturelles qu'on observe dans la France d'après sont le fruit d'une sédimentation de différentes influences qui se sont déposées plus ou moins récemment. » 
La compilation de phénomènes entrevus ça et là, s’ajoutant à des souvenirs d’articles de magazine débarrassés des leçons habituelles des journalistes, le recul des auteurs bon pédagogues, assurent à ces 635 pages le rôle d’un compendium éclairant de notre temps.

samedi 30 mars 2024

Une sale affaire. Virginie Linhart.

Sur le bandeau rouge qui entoure ces 180 pages, la question : « A qui appartient l’histoire ? » 
«  A ceux qui la font ? A ceux qui la vivent ? A ceux qui s’en souviennent ? A ceux qui en souffrent ? A ceux qui héritent ? … » 
Le livre de la dynamique documentariste s’attache essentiellement au récit du procès intenté par son ancien compagnon qui l’avait abandonnée enceinte de leurs jumeaux et par sa mère  avant la parution de « L’effet maternel ».
Elle avait amorcé le récit de son enfance en milieu maoïste, avec un autre ouvrage consacré à son père auteur de « L’établi » 
L’issue du jugement en référé ne fait guère de doute tant la demande semblait extravagante et cruelle. Mais le débat est sérieux et la transcription sincère, sensible, équilibrée comme dans ses livres précédent. Plutôt qu’un bilan comptable du bien et du mal, il s’agit d’un geste littéraire : 
« J’écris d’où je viens, à partir de ce que j’ai vécu, ressenti, compris ; et je peux me tromper, être contestée, contredite. » 
Le point de vue de la fille devenue mère est intéressant et finalement original, car à propos de la période 68, ce sont surtout ceux qui avaient écrit en grosses lettres « il est interdit d’interdire » qui ont monopolisé la parole tout en cherchant à faire taire des voix d’une autre génération. Les plaignants voulaient supprimer… 68 pages.
« Seul l’auteur a le droit de rendre son œuvre publique ou non, ainsi que de décider du moment et des modalités de la première communication de son œuvre. »

samedi 23 mars 2024

Loin d’eux. Laurent Mauvignier.

Dans ce premier roman dans la maison d’édition du « Nouveau roman », l’écrivain majeur pose son écriture au-delà de l’oralité pour rendre avec minutie l’intensité des voix intérieures de six personnages.
L’auteur ne cherche pas à rendre pittoresques les protagonistes mais leurs mots psalmodiés nous touchent.
Il n’y a pas plus juste pour définir ces 120 pages que le mot « incommunicabilité » fort usité à une époque et semble-t-il tombé en désuétude, en ce siècle où pourtant les solitudes se murent.
Jean et Marthe sont dévastés par le suicide de Marc le fils incompris parti à Paris.
Son oncle et sa tante doivent aussi faire face à la perte de leur gendre dans un accident et à l’incompréhension de leur fille.
Pour relever la finesse des uns et des autres qui se résout parfois dans le silence et les non-dits, je recopie quelques lignes forcément fragmentaires dans des monologues ardents au rythme à couper le souffle. 
« Leur seul enfant, c’était leur seul enfant et chacun à sa manière avait le sien, avait son enfant à lui, sa vision de lui, les mots de Luc que chacun d’eux n’entendaient pas pareils, comme si ce n’étaient pas les mêmes, comme si de tomber dans l’oreille de Marthe ou de Jean ça les transformait, les mots de Luc, en un langage que seule l’oreille qui les recevait pouvait entendre. » 
Ce milieu modeste est le nôtre, comme la mort est le sujet de toute littérature et la conclusion de notre destinée. 
« Les lendemains, jamais que des aujourd'hui à répétitions. Et ils le faisaient bien rire ceux qui s'enflammaient encore pour ces lendemains où il faudrait que ça chante et que ça saute… »

vendredi 22 mars 2024

La fourchette et la plume. Colette Guillemard.

Ce n’est pas que ma P.A.L.( Pile A Lire) soit devenue si maigre que j’en suis réduit à lire des livres de recettes de cuisine, mais quel plaisir de déguster 150 recettes inspirées d’écrivains dont on peut réviser les biographies depuis leurs cuisines. 
«  Proust savait-il qu’il y avait jadis, dans la France paysanne une tradition de « plats d’étiquettes » variant suivant les régions, et servis impérativement en certaines circonstances, aux repas d’enterrement par exemple ? Les menus de funérailles comportaient rarement des desserts : cependant dans le Mâconnais on faisait des gaufres à l’occasion de la mort d’un jeune enfant, en signe de réjouissance à la pensée que les misères de la vie lui seraient évitées… »  
Les associations sont directes : Georges Pérec et la salade de riz dans son livre « Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour » ou le sauté aux petits légumes chez Georges Simenon.
Pizza à la tomate ou brochettes de porcs à l’ananas attribuées à Simone de Beauvoir doivent surtout à son séjour aux Etats-Unis, alors que des tournedos flambés qui auront évité le foie gras garni de truffe de chez Rossini correspondraient à Sartre, familier des restaurants.
De Rabelais (andouilles vigneronnes) à Modiano (mezzés à l’orientale), les surprises agréables abondent : cardons à la moelle pour Proust ou canard à l’orange pour Marguerite Duras.
Et nous pouvons avoir du plaisir à l’évocation d’Yvan Audouard, Alexandre Vialatte ou à la découverte de Georges Conchon.
Des idées sont à prendre avec par exemple une goutte de pastis dans la ratatouille inspirée par Zola. Sa galantine de pintade me semble inaccessible, mais je prétends que mon gaspacho est plus sophistiqué que celui de Prosper Mérimée. 

samedi 16 mars 2024

Misericordia. Lidia Jorge.

La vieille dame portugaise avec laquelle j’ai eu rendez-vous plusieurs soirs de suite racontait sa vie dans une maison de retraite « Hôtel Paradis», elle m’a passionné.
Dona Maria Alberta Amado dite Alberti  bataille contre la nuit : 
«… et pour la première fois, elle s’est avancée vers moi sans poser de questions et a assis son corps poilu et difforme sur mon corps ». 
Son regard singulier, « ironique et aimable », sur les résidents et les personnes qui l’accompagnent est un bienfait. 
« Ma vie est devenue riche parce que je vis la richesse de ceux qui s’approchent, bien que parfois leurs vies soient aussi tristes. Mais la richesse et la tristesse vont même parfois ensemble. Pour ma part, je suis occupée par leurs vies et c’est comme si je les lisais dans un livre. » 
L’humour permet de surmonter les défaites du corps alors que l’humanité se retrouve dans cet établissement où la tendresse croise indifférence, générosité, mesquinerie. Des larcins ont eu lieu mais aussi un feu d’artifice, des lectures et de la musique. 
« La cucaracha » (le cafard). 
Des évènements anodins peuvent prendre une place démesurée alors que la pandémie mondiale vient frapper aux portes closes. 
« Parce que les journaux ne révèlent jamais la fin des tragédies, ils se bornent à les annoncer et à les décrire sous leurs couleurs les plus sombres, ai-je ajouté. Ils sont le portrait permanent du désordre sans ordre en vue. Alors j'ai décidé, par moi-même, de mettre fin à cet effondrement, en l'ignorant. Puisque je ne peux pas combattre ces tristes réalités, je renonce à les connaître. » 
Elle aime passionnément sa fille qui a effectué une « transcription infidèle » de 38 heures d’enregistrement audio, mais  tout aussi littéraire qu’elle, ne se dispense pas de la réprimander. 
« Pour ma fille, le maximum qu’elle puisse faire c’est d’être la maîtresse de l’Univers.
Donc moi, je ne suis rien, je suis auprès des choses primitives telles que les herbes et les fleurs de coton, néanmoins je vis parce que je continue d’observer le changement. » 
Au bout des 415 pages à la question « qu’est-ce que l’au-delà ? » 
La réponse est toute trouvée :« L’au-delà est un livre […] Un livre qui n’a pas de fin… »
Un livre très recommandable.

samedi 9 mars 2024

Un roman russe. Emmanuel Carrère.

Dans le débat jamais fini de la distinction entre écrivain et auteur, ce roman sincère, impudique, révèle un créateur passionnant et un individu insupportable. 
« C'est bien. Et ce que je trouve surtout bien, c'est que tu parles de ton grand-père, de ton histoire à toi. Tu n'es pas seulement venu prendre notre malheur à nous, tu as apporté le tien. Ça, ça me plait. »
Au prétexte de la révélation du destin honteux de son grand-père, il va chercher dans une ville russe les traces d’un hongrois interné là bas pendant plus de cinquante ans après la fin de la  seconde guerre mondiale. 
«On ne peut pas vivre ici, et pourtant on y vit. » 
Il tourne un film où se développent les questionnements autour de la création, de l’authenticité. 
« Honte d’être pauvres, paumés, poivrots et peur d’être montrés tels. » 
Entre temps, il entretient une relation torride, avec une femme qu’il aime et qu’il méprise, jouet de ses fantasmes exprimés par l’écriture d’une nouvelle dans « Le Monde ». 
«…  un mélange de forfanterie sexuelle et de perte de contrôle qui, sans laisser indifférent, met plutôt mal à l’aise.» 
Dans une intrication de toutes ces palpitantes histoires personnelles, tant de mots fervents à l’égard de sa mère, de sa compagne, nous touchent, entre malaise et intérêt durant 397 pages: 
« Il fallait que les gens soient un peu ridicules pour que ressorte combien nous étions, elle et moi, intelligents, cultivés, ironiques, en un mot supérieurs. » 

vendredi 8 mars 2024

Le droit d’emmerder Dieu. Richard Malka.

La publication de la plaidoirie de 2020 du défenseur de « Charlie Hebdo » lors du procès des assassins qui a coûté la vie à 15 personnes en 2015 est utile. 
« Les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher ne sont pas seulement des crimes. Ils ont une signification, une portée politique, philosophique, métaphysique. » 
L’affaire des caricatures de Mahomet remonte à 2005 et ce n’est pas le moindre intérêt de ce livre que de rappeler la chronologie des évènements. Il réactive la mémoire et fournit de l’énergie.  
« A nous de rire, de dessiner, de jouir de nos libertés, de vivre la tête haute, face à des fanatiques qui voudraient nous imposer leur monde de névroses et de frustrations, en coproduction avec des universitaires gavés de communautarisme anglo-saxon et d'intellectuels, héritiers de ceux qui ont soutenu parmi les pires dictateurs du XXe siècle, de Staline à Pol Pot. C'est à nous de nous battre. » 
Je trouve le titre grossier mais peut être nécessaire pour nous tenir en éveil depuis un camp qui a tendance à jouer de la litote, à se coucher. 
« Renoncer à la libre critique des religions, renoncer aux caricatures de Mahomet, ce serait renoncer à notre histoire, à l'Encyclopédie, à la Révolution et aux grandes lois de la Troisième
République, à l'esprit critique, à la raison, à un monde régi par les lois des hommes plutôt
que par celles de Dieu. Ce serait renoncer à enseigner que l'homme est cousin du singe et
ne provient pas d'un songe, renoncer aussi à ce que la Terre ne soit pas totalement ronde. Ce
serait renoncer à considérer la femme comme l'égale d'un homme. »
 
Au-delà du chagrin de ne plus retrouver Cabu ou Wolinski dans nos journaux, réactivé par ces 96 pages fortes, les enjeux sont colossaux. 
« Et enfin, qui a nourri le crocodile en espérant être le dernier à être mangé, pour citer Churchill à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, parce que c'est toujours la même histoire : quand on est confronté à des phénomènes qui nous font peur, certains choisissent de pactiser. Mais à un moment, le crocodile munichois devient tellement gros, à force d'être nourri de nos renoncements, que ce qui aurait pu être arrêté avec un peu de courage devient un monstre qui menace de nous engloutir. »

samedi 2 mars 2024

Le diable au corps. Raymond Radiguet.

Lu dans une édition du livre de poche de 1971 dont le soleil des années a bruni le papier, comme pour confirmer le statut de balise dans la littérature française de ce roman paru en 1923.
Un adolescent vit une passion amoureuse avec une jeune femme dont le mari est au front pendant la première guerre mondiale.
Je n’ai pas vu le film avec Gérard Philippe qui est présent sur la plupart des images évoquant l’œuvre autobiographique du jeune romancier mort à l’âge de 20 ans dont se sont inspirés plusieurs films. Mais l’icône des années 50 semble effacer une dimension qui m’a parue essentielle : la précocité de l’amant, voire de l’écrivain. 
« Et mes camarades garderont de cette époque un souvenir qui n’est pas celui de leurs aînés. Que ceux qui déjà m’en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances. » 
Scandale et succès, sincérité et désinvolture, confusion et subtilité, le style dépouillé n’est pas daté et la recherche de la lucidité qui peut paraître surplombante, apporte un regard original sur les intermittences de l’amour, sous un titre fameux qui n’a pas volé sa réputation. 
« L'amour, qui est l'égoïsme à deux, sacrifie tout à soi, et vit de mensonges. »
Les anciens combattants s’étaient indignés, aujourd’hui on remarquera l’emprise de ce garçon sur sa maîtresse : 
« J’aime mieux, murmura-t-elle, être malheureuse avec toi qu’heureuse avec lui. » Voilà de ces mots d’amour qui ne veulent rien dire, et que l’on a honte de rapporter, mais qui, prononcés par la bouche aimée, vous enivrent. »

samedi 24 février 2024

Une certaine inquiétude. François Bégaudeau Sean Rose.

L’auteur de « La devise » aux « Solitaires intempestifs » dialogue avec l’auteur du « Meilleur des amis » à propos de la foi chrétienne.
Bégaudeau est athée bien que : 
« Athée ne me va pas, je déteste la gloriole sans risque de ceux qui brandissent cette étiquette comme un coupe de vainqueur. Agnostique m’agace. Et croyant serait usurpé. Sortirai-je un jour des limbes ? » 
Bien des mots comme « spiritualité » sont examinés avec exigence en 280 pages.
Lors de cet échange de lettres très riche, courtois, parfois rude, l’amitié appelle la vérité et Sean Rose est plutôt charitable face au passionné auteur de « L’amour » avec lequel je me suis rabiboché.
Tout commence par une histoire de transmission avec citation de Kipling voisinant avec Pascal, Bernanos, Simone Weil et la bible, pour aborder la grâce, l’incarnation, le vide, les larmes, la pauvreté, l’amour, les rites… 
« Si tu veux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu veux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront…
Tu seras un homme mon fils. » 
Parmi tant d’autres références de chanteurs, de cinéastes, les exemples concrets ne manquent pas et puisque la littérature assure le pain quotidien des deux confrères, il est question aussi de création : 
« …lorsque je parle de l’égo de l’auteur comme sève de son travail et partant d’une manière de lyrisme, je préciserai que  j’entends ici le moi comme prisme plutôt que comme miroir. »
 Il n’y a ni vainqueur ni vaincu mais un approfondissement de leurs croyances perplexes. 
« Peut-être qu’à la fin les chants à la gloire de Jésus, notre Seigneur, notre tendre ami, s’éteignent dans le néant glacé des tombeaux.»

samedi 17 février 2024

Leçons. Ian McEwan.

Comme je n’étais pas allé au bout de « Veiller sur elle », dernier Goncourt, car je trouvais que les personnages manquaient d’intériorité, j’ai été d’autant plus transporté par Ian Mc Evan qui sait, lui, insérer les destins individuels dans l’Histoire.
Une foule de personnages s’abandonnent au déterminisme ou le contestent, depuis la seconde guerre mondiale jusqu’au Covid, avec crise autour du canal de Suez, missiles à Cuba, Tchernobyl, chute du mur, Brexit ... 
Bien des péripéties sont singulières : une femme abuse d’un garçon et une mère abandonne son bébé, cependant nous nous sentons concernés.
Roland Baines et toutes celles qu’il va rencontrer, ses ancêtres et ses descendants nous émeuvent, riches de leurs ambigüités.
Devant le siège en ruine de la Gestapo à Berlin : 
« Sa propre cellule carrelée de blanc - une leçon de piano, une histoire d’amour prématurée, des études ratées, une femme disparue - était une suite luxueuse en comparaison. »
Pour ce roman dense, bien agencé où l’émotion stimule la réflexion, l’auteur a puisé dans sa propre vie des éléments qui en font toute la profondeur.
Il parle du style de celle qui a quitté sa famille pour la littérature : 
« La prose était magnifique, limpide, souple, le ton empreint d’autorité et d’intelligence dès les premières phrases. Le regard semblait à la fois d’une impitoyable exactitude et plein de compassion. Dans certaines scènes les plus crues, il y avait un sens presque comique de l’impuissance et du courage des humains. »  
C’est de lui dont il est question.

vendredi 16 février 2024

Pêcheur de perles. Alain Finkielkraut.

La dernière fois que j'ai rencontré le mot « perle », employé comme métaphore, remonte aux années 60 et « La foire aux cancres » de Jean Charles, qui recueillait de bons mots involontaires d'élèves.
Ici Lévinas, Kundera, Arendt…  dont les chatoyantes citations ouvrant les 15 chapitres, offrent des trésors de réflexions accessibles, nuancées, vibrantes.
Une constante gratitude déborde des mises entre guillemets.  
« La foi des hommes était si vive que, tel ce pope évoqué par Tchekhov dans une de ses nouvelles, lorsqu’ils allaient faire leurs prières à la campagne en temps de sécheresse pour demander de la pluie, ils emportaient leur parapluie afin de n’être pas mouillé au retour. » 
Et le philosophe blessé par des humoristes de la radio publique qui parlaient de lui en « fan de dégénérescence mentale » a bien raison de craindre pour l’humour et la culture.
« … la culture au singulier n’est plus en odeur de sainteté nulle part. Jusque dans les universités, on dénonce son élitisme. Descendue de son piédestal, elle n’est aujourd’hui admise à l’existence que comme pratique sociale sans plus ni moins de légitimité ou d’intérêt que n’importe quel loisir. »
Concernant l’école, un soupir avec Goethe marque la défaite de l’exigence: 
«  En quoi consiste la barbarie sinon précisément en ce qu’elle méconnait ce qui excelle ? » 
Ce livre personnel lorsqu’il parle d’amour, réjouissant dans ses attaques contre la « cancel culture », convaincant quant à l’Europe, la démocratie, la France, les femmes, être juif … ce livre où sont évoquées « les âmes noires » fait du bien. 
« Il y a tant à défendre ! Il faut être fidèle. » Höderlin.
Alors pour clore cette farandole de citations, j’abrège celle-ci dans la liste des « c’était mieux avant », qui tient 5 pages sur 213 : 
« Agréable, gentil, charmant, prévenant, avenant, attirant, distrayant, ravissant, émouvant, troublant, déroutant, bouleversant, renversant, saisissant… c’était mieux que sympa. Sous ses dehors bonhommes, sympa c’est Attila : après son passage, les différences ne repoussent plus. »

samedi 10 février 2024

La prochaine fois que tu mordras la poussière. Panayotis Pascot.

Livre agressif et intéressant, où l’auteur « vu à la télé», « pervers narcissique » et dépressif ne ménage personne, même pas lui même. 
« Je suis ce gamin de colonie un peu sadique, je te demande de m’accompagner tout en haut du plus haut caillou près du lac et je te dis : À trois, on saute ! Un… Deux… Toi tu sautes, pas moi. Je reste sur le caillou moi, tout en haut, tout au sec, et je rigole en te pointant du doigt. »
Une écriture paraissant sincère parce que crue, peut cannibaliser ses relations multiples avec amantes et amants et classiquement avec le père forcément tyrannique.
Au-delà de cette autobiographie cathartique, où confit avec papa, aveu de l’homosexualité et dépression, deviennent des classiques du genre, peuvent se confirmer des relations sociales contemporaines toujours sur la défensive. 
«Je viens d’une famille où on se laisse pas faire. Toujours râler parce qu’on peut râler, demander parce qu’on peut demander, exiger quand il faut exiger, s’énerver quand il y a de quoi. Mais ne pas douter, ne pas baisser le ton, surtout pas les yeux, ne pas accepter ce qu’on te dit, ce qui est écrit, ce sont de bien jolis mots faits pour bien te détendre, pour que tu te fasses bien enculer. » 
Ces 230 pages se lisent d’un trait, comme on « scrolle » en suivant quelques stand-uppers.
Les trop nombreux gros mots en arriveraient à donner envie d’aller voir d’autres témoignages d’écrivains de jadis pudiques, subtils, et profonds.
Les contradictions du jeune auteur, sa quête fiévreuse de l’authenticité laissent deviner pourtant des non-dits malgré un déboutonnage des plus complets, trop aguicheur pour convaincre totalement.  

samedi 3 février 2024

Continuer. Laurent Mauvignier.

Les montagnes kirghizes seraient surpeuplées si tout le monde pouvait résoudre la crise d’adolescence de son garçon comme la mère-courage dans ce récit puissant, violent, émouvant.
Samuel, risque de tourner mal, alors sa mère  Sibylle sacrifie tout pour le sauver du silence, de la haine. Il faudra du temps pour que vienne le temps de la réconciliation et que tous deux se réparent. 
« Samuel était resté éperdu de honte et mortifié. Sa mère se faisait des illusions si elle pensait qu’elle pourrait changer quelque chose en lui, de lui, si elle croyait qu’il lui suffirait de prendre quelques semaines de grand air, accompagné de chevaux et de montagnes, de silence et de lacs, pour que soudain tout dans sa vie se déplie et devienne simple et clair, pacifié, lumineux, pour qu’il cesse enfin de se sentir écrasé à l’intérieur de lui-même, comme si on allait arrêter un jour d’appuyer sur son cœur, sur son âme, sur sa vie, comme si l’étau pouvait un jour se desserrer. »
La densité de cette production irait vers la métaphore, le conte, si l’écriture n’était pas aussi incarnée.Les premières lignes tiendront leur promesse : 
« La veille, Samuel et Sibylle se sont endormis avec les images des chevaux disparaissant sous les ombelles sauvages et dans les masses de fleurs d’alpage ; les parois des glaciers, des montagnes, les nuages cotonneux, la fatigue dans tout le corps et la nuit sous les étoiles, sur le sommet d’une colline formant un replat idéal pour les deux tentes. Et puis au réveil, lorsque Sibylle sort de sa tente, une poignée d’hommes se tient debout et la regarde. Il lui faut trois secondes pour les compter, ils sont huit, et une seconde de plus pour constater que les deux chevaux sont encore à quelques mètres, là où on les avait laissés hier soir. Samuel se lève à son tour, il ne comprend pas tout de suite. Il regarde sa mère et, à l’agressivité qu’il reconnaît dans la voix des Kirghizes quand ils se mettent à parler, à questionner en russe, et surtout parce qu’à sa façon de répondre il voit que sa mère a peur, il se dit que la journée commence mal. » 
Au bout de 235 pages nerveuses, nous avons chevauché dans des paysages magnifiques, étreints par l’angoisse que le lauréat présumé chaque année du Goncourt sait décidément bien amener.
Ce sentiment est délicieux car excité par un style toujours aussi séduisant et efficace sur une trame qui nous tient en haleine tout du long, alors que la peur est au cœur des problèmes à résoudre pour des personnalités durement campées mais passionnantes..

samedi 27 janvier 2024

La péremption. Nicolas Fargues.

Ne pas se fier à la quatrième de couverture : « Assignée femme » mais plutôt à la première phrase du livre de 190 pages écrit par un écrivain, se mettant dans la peau d’une femme, alors que les écrivaines ne manquent pas: 
« Ce qui a de bien avec vous, Madame, c’est que vous donnez envie d’être vieille ».
Elle vient de prendre sa retraite de prof d’art plastique à 50 ans et si son écriture est pleine de verve, de lucidité désabusée, elle se refuse à intervenir tant auprès de ses élèves, de son fils, de ses ex, de sa mère, de son frère, de son nouvel amant qui la conduira au bord du lac Kivu au Congo.
Sa grande tolérance alimente tant de renoncements, se laissant si facilement prendre par « des ivresses sans fondement. » L’indifférence maquillée en bienveillance me semble dans cet air du temps maternant dont je connais la délicatesse bien que son hypocrite aveuglement agace. 
« Une raison de vivre, cela peut se délaisser pour mieux que ça : se laisser vivre. »
Le vieillissement devient pathétique lorsqu’il s’accroche aux modes tout en sachant leur vanité. 
« Il y a pire que notre splendeur d’antan qui pique l’égo : les éloges qui blessent. » 
J’ai aimé quelques nuances grammaticales signifiantes : 
« Qu’est ce qui t’a prise ? ça ne te va pas du tout. »
« Mais que te prend-il ? » 
La mise à distance épargne les grandes douleurs pendant que la lucidité, l’ironie font des bonheurs de lecture, nous donnant l’impression de ne pas être dupe, d’être un malin nous aussi :  
« Tu penses à cette phrase de Robert-Louis Stevenson, tellement citée et tellement reprise pour justifier tout et n’importe quoi qu’elle a fini par s’apparenter à un bibelot de boutique pour touristes : «  L’important, ce n’est pas la destination, c’est le voyage. » 
Avec tes mots à toi, cela reviendrait à prétendre qu’à défaut d’un avenir, tu es en train de te fabriquer de beaux souvenirs. »

vendredi 26 janvier 2024

Le plus grand menu du monde. Bill François.

Des pistaches de l’apéritif jusqu’au café, nous suivons le sommaire en forme de menu : 
de la salade composée jusqu’à la tarte au citron, nous remontons à la nuit des temps pour mieux connaître minéraux, végétaux et animaux présents sur nos tables. 
Le pistachier du jardin des plantes tient une place centrale dans ce livre pour gourmands.  
Guy Savoy a assuré la mise en bouche, la préface.
Difficile de ne pas dire je me suis « régalé », ce livre est « délicieux », tant le plaisir de la lecture rejoint le plaisir de manger et d’apprendre dans ces 268 pages instructives et « craquantes » de l’écrivain, biophysicien et naturaliste.
Au début je me demandais si c’était du « lard ou du cochon », tant les anecdotes me paraissaient farfelues et puis vérification faite: Frank Buckland, fils de l’excentrique britannique William Buckland, personnage récurrent de ce voyage culinaire dans le temps et l’espace a bien existé. Cet humaniste est époustouflant.
Et sont palpitantes les aventures du savant français nommé Poivre qui avait commencé une carrière de prêtre mais ne pouvant plus bénir après qu’un boulet de canon l’ait privé de son avant bras droit, arrive à acclimater en « Île de France » muscade et clous de girofle, exclusivités jusque là des hollandais.
Nous remontons à l’origine des mots : muscade a quelque chose à voir avec le musc et nous apprenons que parmi les saveurs, il convient d’ajouter l’umami (sauce soja).
Je n’ai rien compris aux molécules chirales, par contre la smoltification est exaltante : le métabolisme du saumon est bouleversé quand il passe de la mer à l’eau douce où il doit uriner constamment, alors qu’en mer il doit boire sans cesse pour rester hydraté. 
Histoire, vocabulaire, biologie : la tomate n’est plus chez nous « la plante de sorcières » depuis qu’elle est venue du Sud avec les premiers chanteurs de Marseillaise.
La poésie et l’humour rencontrent l’érudition la plus pointue, ainsi les yeux de la pomme de terre sont disposés harmonieusement pour « optimiser l’agencement de ses futures feuilles ». 
La diversité des processus qui ont amené la prospérité de certaines plantes est merveilleuse : la figue dévore la guêpe qu’elle vient de féconder. Mais le poulet jadis objet de vénération est devenu une monoculture. 
Un plaidoyer pour la biodiversité, tout en finesse et humour, court tout au long du livre, valorisant entre autres les combats menés depuis longtemps pour « la réglementation de la pêche commerciale, la dépollution ».

samedi 20 janvier 2024

L’amour. François Bégaudeau.

Ce n’est pas parce que l’auteur a pris  parfois des positions qui ne m’ont guère plu que je vais le « canceler » comme un vulgaire « woke », d’autant plus que je n’érige pas en système de partir en sens inverse en cas d’accueil critique favorable.
Trop « simple «  pour les Inrocks : raison de plus ! 
« D’habitude ils finissent plus tard mais là le patron est d’enterrement.
La femme d’un copain dont la R6 est rentrée dans un poteau électrique à l’entrée de Saint- Julien. La bagnole est morte aussi. »
L’écrivain ne m’avait pas toujours intéressé, cette fois beaucoup.
En 90 pages, la fulgurante histoire de Jacques et de Jeanne Moreau va à son terme, sans passion, alors que rien n’était gagné d’avance. 
« Avec le temps, comme les amis de l’un sont les amis de l’autre, les sorties personnelles se font rares. Les sorties tout court. Les téléphones sont à touches, les bouteilles en plastique, les mouchoirs en papier, les têtes d’homme nues, les machines à coudre envolées, le papier peint suranné, les baguettes tradition, les wagons non-fumeurs, les shorts de foot longs, et Jeanne et Jacques préfèrent le plus souvent lambiner pieds nus sur la moquette qu’ils ont choisie épaisse et vert d’eau. » 
A travers la vie modeste d’un homme et d’une femme de notre temps, Bégaudeau régénère le thème ambitieux de l’amour « ou ce qui lui ressemble » avec une originalité familière, une attention légère aux « choses de la vie », une sincérité qui joue du mensonge pour révéler la vérité.
« L’amour prend patience, l’amour rend service, l’amour ne jalouse pas. Il ne s’emporte pas, il n’entretient pas de rancune. Il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai. Il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout, l’ amour ne passera jamais. »
 Le style rend avec virtuosité et humour, la banalité de nos réflexions. 
« Le chien qui a senti le gigot gratte à la porte. Il crotte le sol avec ses pattes pleines de terre. - Où c’est que tu as trainé encore ?  
Le cocker ne répond pas. »

samedi 13 janvier 2024

Entre ciel et terre. Jón Kalman Stefánsson.

Des pêcheurs affrontent l’océan à la force de leurs bras ; le froid les saisit.
La mort les attend, un gamin qui l’a vue de près revenu à terre va-t-il choisir la vie ?
Pour prolonger la quatrième de couverture qui évoque le pouvoir des mots un extrait page 74:
« Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous sommes ni vivants ni morts. »
Depuis le silence, entre ivresse et sobriété,  bêtise et lucidité, solitude et amitié, la poésie et la très rude réalité, le rêve: les 250 pages ouvrent des espaces infinis, qui s’approchent d’un conte et de ses métaphores. 
« Il n’est jamais monté aussi haut, il n’a jamais été aussi proche du ciel et, en même temps, jamais aussi loin. Il avance lentement et péniblement, abandonné de tous, sauf de Dieu et Dieu n’existe pas. » 
Les gouffres sont amers et la lande triste, les destins austères. 
L’écrivain a ses inconditionnels, il nous dépayse non seulement parce qu’il nous emmène en Islande, à une  rude époque, parmi des personnages qui font penser à des statues glacées, mais aussi par une écriture jouant parfois trop avec l’absolu jusqu’à vous surplomber, vous refroidir. 

vendredi 12 janvier 2024

Infographie de l’empire napoléonien. Vincent Haegele. Fredéric Bey. Nicolas Guillerat.

Maintenant que les recettes de cuisine se présentent essentiellement en vidéo et que les émotions s’expriment en « Emojis », les journaux qui n’osent plus guère les caricatures, représentent l’actualité avec de plus en plus d’images : cartes et graphiques.
L’histoire se met à l’infographie : après la seconde guerre mondiale et la Rome antique,  voilà de Bonaparte à Napoléon. 
On a d’ailleurs prêté au petit caporal la formule : 
« Un bon croquis vaut mieux qu’un long discours. » 
L’inventivité des représentations ne se fait pas au détriment des textes vivants et précis pourtant imprimés, à mes yeux, en caractères trop petits.
Il faut bien 28 chapitres en 150 pages pour nous faire réviser ou apprendre ce qu’étaient les institutions d’alors, décrire la grande armée et les coalitions jusqu’à la chute de l'empire.
La documentation est impressionnante et la présentation attractive pour exprimer aussi bien les rapports dans la famille Bonaparte, l’histoire de la Corse ou le temps mis pour parcourir la distance Paris Strasbourg à pied (14 à 21 jours) en voiture (4 jours), à cheval (2 à 3 jours) …
Des entrées originales apportent un regard neuf sur un règne, ainsi la mise en évidence des communications, le recensement de tous les complots, la comparaison des économies européennes, l’évolution des populations ou la course aux brevets entre la France et l’Angleterre…
Cet ouvrage apporte des informations pointues concernant l’évolution des corps d’armée, leurs compositions, les formations tactiques. 
Les batailles de nature différentes au cours de 20 ans de campagnes mettent en évidence cavalerie, artillerie, le corps du génie, la garde impériale, les services de santé… 
«  En son temps Larrey a contribué à révolutionner cette technique en pratiquant l’amputation par désarticulation, bien plus rapide et sûre, l’os n’étant pas sectionné. » 
Quelques mises en perspective surprenantes sont intéressantes: 
«  Si l’on compare le bilan des guerres de la Révolution et de l’Empire à celui de le guerre de 30 ans ( 1618- 1648) évalué à deux millions de combattants et trois millions de civils morts en Allemagne sur une population totale de quinze millions, leur impact sur la démographie européenne est bien moindre »

samedi 6 janvier 2024

Se croiser sans se voir. Jean-Laurent Caillaud.

A partir d’un mot glissé sous une plaque commémorative telle qu’on ne sait plus les voir, 
des lettres s’échangent : 
« Vous qui passez devant cet immeuble, ayez une pensée pour Frédéric.
Il est mort pour vous. Le 21 août 1943. Il avait 19 ans.
C'était mon meilleur ami.
Il voulait faire le tour du monde après la guerre.Il n'a pas pu. » 
De brefs échanges rassemblés en 126 pages témoignent d’une mémoire réinvestie par les passants avec des évocations de personnages qui laissent à leur tour une trace respectable.
Ne sont pas ignorés quelques messages témoignant d’autres préoccupations : 
«S’il vous plaît, qu’est-ce que je fais de toutes ces fleurs, moi maintenant ?
Et bravo pour les bougies, ça dégouline de partout.
La gardienne du 149. »