dimanche 26 avril 2009

Rome au cinéma

Jean Serroy, monsieur cinéma à Grenoble, lors de sa conférence pour les Amis du Musée, a insisté sur le prix des imperfections de « Rome ville ouverte » pour témoigner des conditions de réalisation du film par Rossellini, tourné avec des bouts de pellicule récoltés à droite et à gauche dès la libération. Les gosses, qui viennent d’assister à l’exécution du prêtre résistant qui les enseignait, retournent vers la ville d’où émerge le dôme de Saint Pierre. Celui-ci sera vu d’en dessous dans un film hollywoodien consacré à la vie de Michel Ange. Ainsi se mêleront des extraits de productions américaines : « Vacances romaines » avec Audrey Hepburn et Grégory Peck en Vespa jusqu’à Nani Moretti en Vespa aussi dans « Carnets intimes », alors que Scola nous mène en autobus dans « Les gens de Rome ». Anita Ekberg se baigne dans la fontaine de Trévi, pour toujours : « La dolce vita ». Tout ne s’efface pas à l’air pollué d’aujourd’hui comme la fresque antique dans « Fellini Roma », la ville est éternelle, elle offre ses strates de temps et aussi ses péplums, son néo-réalisme, ses comédies qui nous enchantent sous les ritournelles musicales qui vous embobinent.
« Nous nous sommes tant aimés », c’est un beau titre, au passé composé.
Je pars à Rome, ce dimanche, accompagner des collégiens, retour pour la manif du 1er mai.

samedi 25 avril 2009

Oiseaux matiniers

Pour un printemps, cet extrait d’Anna De Noailles :
« La juvénile odeur, aigüe, acide, frêle,
Des feuillages naissants, tout en vert taffetas,
Sera plus évidente à mon vif odorat
Que n’est aux dents le goût de la fraise nouvelle ».

Je découvre les poèmes de la coquette comtesse du XIX°.
Avec ces mots d’avril, me revient le souvenir des rédactions hebdomadaires de mes années collège, avec les heures passées à peser les mots, les phrases, et ma reconnaissance d’aujourd’hui de goûter l’écriture et le temps.
Ce ne sont pas les machines à reconnaissance vocale calibrant les paroles qui sauront trouver les parfums du printemps, les vapeurs des rêves, les mots bleus.
Des pierres sont jetées chaque jour sur l’écriture.
Il restera un alphabet en ses polices, mais plus de suspension, de pointe levée le temps d’une nuance ; un jet continu, un blabla envahissant nappera une sphère confuse.
Tchao Anna ! Qui oserait encore tutoyer le soleil ? Est ce parce que plus grand monde ne saura prendre un peu de temps pour chercher un mot, que ce cher matin ne pourra plus écarter « la mort, les ombres, le silence, l’orage, la fatigue et la peur » ?
Et les oiseaux trouveront-ils un dictionnaire pour se reconnaître à « matiniers »

vendredi 24 avril 2009

La rêveuse d’Ostende

E.E. Schmitt connaît un grand succès en librairie ; je l’avais apprécié au théâtre dans « les variations énigmatiques » où il était question des rapports de la littérature à la réalité. Dans ce recueil de nouvelles, des personnages interrogent aussi nos rapports aux livres : la rêveuse ne lit que des classiques, un autre méprise les romans de fiction au plus haut point, quant aux livres achetés en grande surface... Sujets intéressants, mais si au théâtre nous pouvons échapper aux lourdes présentations, là l’auteur m’a fait souffrir. Quand il marche pied nus à Ostende, c’est la morsure du sable qui vient ; pour les galets : prévoir des sabots. Les sujets sont intéressants comme la relativité de la beauté humaine, avec pas mal de rôles féminins aux formes généreuses, mais les situations mises en place sont trop didactiques, prévisibles, artificielles, sans subtilité : un théâtre de marionnettes.

jeudi 23 avril 2009

"Quintet" au MAC

Le musée d’art contemporain de Lyon proposait aux visiteurs, cinq auteurs de bandes dessinées.
Shelton et ses freak brothers ( barjots) aux yeux étonnés, l’underground en surface,
Stéphane Blanquet, ses ombres chinoises monstrueuses en courts métrages gore, son train fantôme,
Masse qui recycle de fines gravures du début du XX° en des récits baroques et présente des sculptures intrigantes,
Joss Swarte, le hollandais, très « ligne claire » a un propos poétique teinté d’absurde, très soigné comme peut nous étonner
Chris Ware avec ses signes à profusion dans un rythme harmonieux.
Parfois des galeries font honneur à des artistes alors que la virtuosité, l’originalité étaient plus évidents chez certains créateurs de B.D.
Justice est rendue à ces cinq auteurs qui, à partir des planches habituelles dont nous saisissons mieux le travail au vu des originaux, nous régalent d’autres dimensions de leurs productions dans un lieu qui les met bien en évidence.

mercredi 22 avril 2009

Poètes dans nos petits papiers. Faire classe # 30

Au commencement de la journée virevoltent les verbes enrubannés.
Dites-moi une plus belle vie que celle qui commence chaque matin par des mots en guirlande, des poèmes ? Il en fut ainsi.
- Chaque enfant possède un recueil d’une centaine de poèmes.
- En début d’année chacun se doit de présenter un poème appris dans les classes précédentes.
- Chaque samedi des volontaires s’engagent à réciter en solo ou à plusieurs en s’inscrivant pour la semaine suivante.
- Les élèves de service appellent les récitants
- Je vérifie le cahier de travaux pratiques où le texte est recopié et illustré, je le montre aux auditeurs. La poésie vaut pour la parole mais aussi en son écrit et son illustration.Certains en garnirent trois cahiers.
- Le public critique.
- Le nombre de poèmes portés à la lumière figure sur le bilan trimestriel.
La poésie est un secteur éditorial infime réservé aux poètes qui se lisent entre eux, un enjeu négligeable. Mais quand j’ai entendu sur France Culture que Prévert symbolisait le poète pour instit’, je me suis senti fier d’aimer l’anar à la clope. La production d’albums de poèmes pour les enfants est riche et attractive : la poésie n’existerait-elle que pour une réserve de mômes ? Innocence des débuts, mariages et banquets, enterrements, ces moments de la vie les plus solennels se dilatent avec quelques vers sonores. Et de cette vie qui court, remontent quelques rimes qui constituent une communauté, une nation : mots-clefs, clins d’œil, références communes.
« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? » La Fontaine
Quand sous les étoiles d’une nuit au Sahara reviennent des mots communs à un touareg indigo, c’est « l’âne si doux marchant le long des houx » qui ramène ses sabots. Grand moment à la lueur d’un feu des premiers âges, luxe suprême.
Noémie spécialisée en La Fontaine et Laura en Victor Hugo nous offrirent cette année là un festival permanent. Ne pas craindre la complexité, elle s’éclairera plus tard. Là, des performances m’ont encore étonné et renforcé ma conviction que la mémoire se cultive très tôt. Ne pas prendre les mômes pour des billes !
Des objets insolites (attrapeur de rêves canadien, fée clochette…) occupent un coin de la classe avec les albums, fabliers, boîte pour fiches à emprunter.
Privilège de durer dans le poste : une ancienne élève avait relié par une tresse de laine le recueil de ses poèmes préférés pour ceux qui viendraient après elle dans la classe. Merci.

mardi 21 avril 2009

Anantapodoton et anacoluthe s’en vont en bateau.

Préambule: Le « Gradus » est un dictionnaire des procédés littéraires ; auteur, Bernard Dupriez. Mon édition en 10/18, date de 1984.
Gradus ad Parnassum « escalier vers le Parnasse, séjour des muses… »
Les sciences inventent des termes dont le sens nous est inconnu mais qui ne sont pas insignifiants pour notre imaginaire. On se rappellera Colette, enfant, rêvant au mystérieux« presbytère ».
Pour ma part, j’adore le terme « concupiscence » savoureux aux lèvres de certains prêcheurs de la sainte église catholique. Prononcez-le, lentement, syllabe après syllabe. N’est-il pas surprenant que ce mot proclame ce qu’il condamne ?
« Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux »
a écrit René Char. L’écriture automatique des surréalistes exploite cette mine !

Anantapodoton et anacoluthe s’en vont en bateau.
Il y aurait d’une part, ce dialogue entre un théoricien du haïku d'origine européenne mais vivant à Kyoto, à qui l'éditeur du Gradus, aurait commandé un manuel facilitant l'écriture des haïkaï. Je devrais vous l'écrire autrement cette première phrase trop bourrée d'informations (avec anantapodoton intégré) qui n'ont rien de folichon, qui exhalent une tristesse de soirée studieuse peut-être alcoolisée, quand s'emmerdent les futurs candidats à l'agréation de lettres modernes ou pas.
Soit l'auteur du Gradus*, B.D. s’entretenant avec son éditeur que nous nommerons « éditeur »
Editeur - Mon vieux, votre Gradus, il est un peu démodé. Austère, quoi ! Les jeunes et même les moins font une allergie tellement c'est poussiéreux, d'aspect. Mes concurrents éditent des versions light de votre ouvrage. Bien plus digestes.
B.D. - Ils me pillent, ces fainéants. C'est du rapt. …
Editeur - N'exagérons pas… Ils nous font aussi de la pub… Chaque année les universités, les prépas diverses aux divers concours recommandent l'achat du Gradus. A la radio il n’est plus question que de chiasmes, d’oxymores, d’euphémismes dans les jeux télévisés.
B.D. – J'en sais quelque chose ! Ma petite fille Camille prépare l'agrég de lettres modernes. Et bien vous savez ce qu'elle m'a dit ? "Papy je vais abandonner. Je perds le sommeil, ma libido est au plus bas. Ton bouquin, c'est relou grave. J'oublie au fur et à mesure que j'apprends… ça me fèch d’une force !"
Editeur – Vous savez que la poésie japonaise est dans le vent. Tout le monde écrit des haïkaï. C'est devenu une activité incontournable des ateliers d'écriture du premier au quatrième âge. Même les vieillards atteints d’Alzheimer y excellent, ils passent si naturellement du coq à l’âne, les pauvres !
B.D. – Excusez-moi mais je ne vois pas le rapport avec notre problème…
Editeur– J'y viens… Je connais un type qui enseigne le français au Japon ; il parle et écrit le japonais à la perfection. Il a d'ailleurs soutenu une thèse sur Issa. Si je ne me trompe ? Le sujet en était : "De la sublimation poétique chez Issa, éjaculateur précoce. "
B.D. – Attendez, je ne vois pas en quoi les éjaculations précoces ou non d'un moine japonais du XVIII me siècle concernent les compilations de procédés littéraires dont je suis l'auteur !
Editeur – Patientez ! Je lui ai proposé d'écrire une somme sur le haïku. C'est à la mode, ça se vendra. Le titre en serait bénin pour ne pas décourager… Genre : Le haïku sans douleur… Ou le haïku en un quart d'heure !
B.D. – Je ne vois toujours pas le rapport avec notre problème.
Editeur – J'y viens.
B.D. - … ?
Editeur – Voici ma stratégie : insidieusement en quelque sorte, afin de ne point effaroucher les lecteurs, notre distingué niponisant glisserait nommément les procédés littéraires de votre Gradus chaque fois qu'il décortiquerait un haïku. D'abord par des notes en bas de page citant votre ouvrage et puis peu à peu lui donnant toute sa place dans la partie majeure de son ouvrage. Une sorte de montée orgasmique…
B.D. – Je vois… Hum… Ce n'est pas une mauvaise idée, je crois même si je peux risquer cette hyperbole… qu'elle est géniale. En quelque sorte déconditionner tout en reconditionnant.
Editeur – Et voilà… A doses de plus en plus conséquentes. Grâce à des redites habilement programmées, le lecteur imprégné à son insu, n'aura plus peur de l'aposiopèse, de l'anaphore, de l'hypallage… Finis les boutons et les conjonctivites dont souffre ma chère petite Camille.
B.D.- Enfin la poésie de ma somme les ravira et je gage - on peut rêver - qu'ils finiront par lâcher les recueils de haïkaï pour se délecter uniquement de mon bouquin. Ce Gradus qui m’a blanchi le Chef !.
Editeur. – Que nous allons relooker. Couverture en couleur, illustrations érotiques mais esthétiques. Le maquettiste est déjà à l'œuvre…
B.D. – Et pourrai-je rencontrer notre… nouveau collaborateur ? Je veux dire, l'expert en poésie japonaise…
Editeur – Il est à Paris. Je vous invite chez moi demain. Sa femme sera du dîner. Je vous préviens, c'est une bombe textuelle. Hi ! Hi ! Suis-je bête !
***
Je reviens à la première partie de ce récit. Je me cite : " Il y aurait d’une part ce dialogue entre un théoricien du haïku d'origine européenne mais vivant à Kyoto… " Voici un bel exemple d'anantapodoton. J'ai trouvé ce terme reptilien dans le Gradus, comme il se doit, à la rubrique légèrement coquine, d'anacoluthe. Je vous recopie la définition du premier de ces deux mots : "… de deux éléments corrélatifs d'une expression alternative (comme les uns… les autres) un seul est exprimé". Dans le cas qui nous intéresse, c'est à dire celui de l'expert en poésie japonaise, il nous manque le deuxième élément : "il y aurait d’une part ce dialogue entre un théoricien du haïku ».. . Exit le deuxième élément. Vous connaissez la blague de Coluche ? Quelle différence y a-t-il entre (au hasard) une planche à pain ? Cela ressemble aux exercices de méditation zen, genre « applaudir d’une seule main. »
Le deuxième élément, ne peut-être que la femme, l'épouse du docteur es haïkiste, la supposée bombe sexuelle aux dires de l’Editeur.
Donc il y aura un dialogue entre cet homme éminent niponisant et son épouse.
Rejoignons le couple dans son jardin zen agrémenté de coussins. Ecoutons les.
Elle : Miel de ma vie, nectar de mon âme, délices de ma bouche… Viens, je t'appelle, je t'attends, je t'espère. Mon anacoluthe ruisselle.
Lui : (tout bas pour lui-même) Arch ! Saloperie d' anantapodoton qui ne veut se réveiller ! J'ai beau m'activer, il est aussi endormi qu'une litote !
(Tout haut) Bien aimée, azur de mes nuits, sel de mes rêves, poivre de mes muscles, miches de mes réveils… Patiente… en lisant mes derniers haïkus !
Elle : Quoi ! Comment ! Arch ! Tes haïkus ! Tes haïkus… Et ma césure… c'est un cuir !
Je vous comprends, cher lecteur, en supposant qu’un lecteur soit toujours en poste, vous voilà choqué ! Pour ma défense je pourrais invoquer cette brandade de morue trop chargée en ail, pesant sur mon estomac ! La vérité est plus prosaïque. Elle s’adresse à certains Messieurs dépensiers et peu imaginatifs : abandonnez les revues spécialisées, ces revues sur papier glacé, chaudement illustrées que vous croyez bien cachées et que vos héritiers découvrent sans coup férir dans le grenier, au-dessus de l'armoire à pharmacie ou sur la réserve d’eau des toilettes…
Déposez dans les lieux d'aisance un Gradus, régalez-vous ! Votre descendance y prendra goût. Et cet ouvrage fécond, éveillera peut-être des vocations de poètes ou des talents d'humoriste. A moins qu’un sort moins enviable détourne de leur fonction ces pages érudites. Evitez ce geste sacrilège !
Marie Treize
* Le Gradus est ouvrage épatant, planète étrange, riche en termes énigmatiques, d’une poésie totale, d’un comique surprenant. J’aime m’y promener, j’y cueille des mots rares qui se fanent presque aussitôt, ma matière grise n’étant pas un terreau favorable aux fleurs de la rhétorique.

lundi 20 avril 2009

Le chant des oiseaux.

Quand je verrai Albert Serra à l’affiche d’un film, j’irai en voir un autre. C’est lui qui a réalisé ce film en noir et blanc où il n’y a pas l’ombre d’un oiseau, pas plus que de poésie: une bonne purge de temps en temps serait-elle salutaire? La lenteur des plans conviendrait pour le côté esthétisant; pour l’humour annoncé par certains critiques, je ne vois qu’un rire nerveux qui peut advenir quand la corde de l’exaspération se tend. La raison peut reconnaître l’originalité du propos, mais je suis imperméable à celle ci et la fatigue peut vous amener à ne pas aller au bout du voyage de ces trois personnages tellement minablement humains qu’une bonne partie du public « se tire » de chez ces rois. Pas d’étoile pour ces mages.