jeudi 18 novembre 2010

Jean Dieuzaide

Jean « Dieu z » comme dit Michel Tournier dans la préface du livre consacré au photographe gascon : « Un regard, une vie ». L’octogénaire disparu en 2003 a contribué à sortir la photographie des arts mineurs : « école du regard, qui redouble le monde sous nos yeux pour mieux le faire comprendre ». Si sa gitane au regard fier qui donne le sein était accrochée à ma mémoire, c’est la diversité de ses productions qui est remarquable. Ses reportages, ses paysages du Lauragais avant les « vus du ciel » d’Arthus Bertrand, ses portraits, ses images industrielles et ses architectures jouent avec la géométrie par des cadrages inédits et rigoureux. Ses natures mortes élégantes et mélancoliques recèlent quelques pépites colorées d’autant plus éclatantes que le noir et blanc fut sa couleur tout au long de sa traversée du siècle.

mercredi 17 novembre 2010

Par avion. Sempé

A New York Jean Paul Martineau pose son regard, loin des nappes à carreaux du bistrot où monsieur Lambert le parisien avait ses habitudes : dans Manhattan, on mange sur ses genoux ou alors on se fait livrer des repas chinois à domicile. Et pourtant sur la couverture c’est un french cuistot avec sa toque et son petit vélo, le panier de légumes sur le porte-bagages qui est le seul vivant au milieu des gratte-ciels plongés encore dans la nuit. Les chapitres mettent en scène des précieux ridicules du côté de central Park « il existe encore des femmes comme ça ! », la convivialité artificielle à coup de « keep in touch » (Garder le contact), ou l’esprit positif surjoué des américains fussent-ils bobos
« C’est dans la poche ! »
Sempé garde son vélo pour saisir cette humanité qu’il regarde toujours avec tendresse.
Aussi pertinent au pied des buildings qu’au bord des murettes des pavillons de banlieue.

mardi 16 novembre 2010

La vie d’Augustine.#2

Et puis il y a eu les bombardements des mines. Le plus affreux c’était la nuit. Un jour, il est tombé un obus en haut de notre rue en plein milieu. Les vitres et portes ont volé en éclats. Comme les maisons du coron se soutiennent les unes les autres, elles ne sont pas tombées. Une petite fille qui était assise devant sa porte a disparu : on n’a jamais retrouvé son corps.
Les obus tombaient dans les jardins. Sitôt l’alerte, mon frère Arthur nous prenait, une sur son dos, l’autre devant et on partait se mettre à l’abri. Mon père n’a jamais quitté la maison. Il ne voulait pas non plus que l’on emmène Lucienne qui couchait dans la chambre de nos parents. Lui, étouffait dans les abris ! Pauvre père ! C’est lui qui gérait tout car notre mère ne savait ni lire ni écrire et chez les commerçants elle se faisait toujours avoir. Mon père l’appelait « sans bile » ce qui signifiait sans responsabilité.
Elle nous tenait bien propres : une fois par semaine, aidée par mes aînées, elle nous donnait un bain dans un demi tonneau. On faisait chauffer l’eau dans de grandes lessiveuses. C’était la même chose pour mes frères quand ils rentraient de la mine. Ils étaient si noirs et il n’y avait pas de douches à la mine. On avait une réserve d’eau dans un grand tonneau pour récupérer l’eau de pluie avec laquelle on faisait la lessive ce qui nécessitait moins de savon.
On avait une petite remise dans le jardin. C’est là que qu’on se nettoyait comme beaucoup de grandes familles. Il y avait un petit poêle à charbon.
Pour se chauffer, les mineurs avaient droit à du poussier c'est-à-dire des débris et poussières de charbon. L’hiver on était livré par quinzaine et l’été chaque mois. Un tombereau tiré par un cheval déversait le poussier devant la maison. Nous le poussions vers le trou de la cave. Il fallait le faire dans les deux heures qui suivaient la livraison. Pour nous éclairer nous avions les lampes à pétrole.
Les corons étaient construits en briques rouges qui devenaient marron puis noires avec le temps. On mouillait le poussier pour en faire des sortes de briquettes. Il fallait une bonne braise pour que le poussier s’enflamme : on perçait un trou au milieu de la briquette pour faciliter. Nous avions des poêles adaptés à ce genre de combustion.
On les importait de Belgique. Ils étaient larges devant avec une grille plus bas pour poser et chauffer les pieds. Mon père s’occupait d’entretenir le poêle l’hiver.
On était tous réunis et heureux d’être ensemble : c’était quand même une belle vie. On appréciait les bons moments de la vie quand il y en avait !
L’électricité n’était pas pour nous..

lundi 15 novembre 2010

Les rêves dansants sur les pas de Pina Bausch.

Quel beau cadeau, à bénéfice réciproque, ont pu offrir ces adolescents à Pina Bausch pour son ultime spectacle ! La bienveillance des répétitrices permet à la fraîcheur de la jeunesse de réinvestir des émotions passées de la créatrice. Les répétitions pour dégauchir les gestes amènent au dépassement de chacun, avec son histoire singulière : work in progress. Des moments de grâce. Au-delà d’une technique, d’une posture, une monitrice qui a créé un personnage doit transmettre son savoir à une jeunette déjà blessée par la vie. L’ambiguïté de la relation est dépassée par la générosité des unes et des autres. Le film aborde bien des complexités et rend la dynamique de l’art de la dame de Wuppertal dont le visage émacié s’éclaire quand elle parle de Paris. L’impassibilité qui est demandée souvent aux acteurs donne alors du prix à son sourire. Les jeunes n’ont pas besoin d’être très maquillés, leurs pommettes rosissent aux premiers pas. Cette pièce dansée s’appelle Kontakthof, la chorégraphe dit : « Kontakthof est un lieu où l’on se rencontre pour lier des contacts. Se montrer. Se défendre. Avec ses peurs. Avec ses ardeurs. Déceptions. Désespoirs. Premières expériences. Premières tentatives. De la tendresse, et de ce qu’elle peut faire naître. » Exactement. La vie dansée.

dimanche 14 novembre 2010

Home

L’espace gris bleu de la scène du petit théâtre de la MC2 s’ouvre au-delà d’un asile qui serait situé dans une île : nous sommes avec trois hommes et deux femmes dans cette aire à parler du temps pour nous rassurer, à nous appliquer à trouver un cousin qui a vécu la même chose, à vitupérer, à regarder le monde, à débarrasser des chaises. La causette pour se recoudre. J’essaye d’éloigner un romantisme indécent fasciné par la folie parce qu’elle irait au-delà des convenances, des apparences. Je me suis senti concerné par cette mise en scène de Chantal Morel d’une pièce de David Storey adaptée par Duras. Beckett ou Ionesco peuvent être convoqués, mais les personnages ne m’ont pas parus comme des véhicules d’une conversation philosophique, leur fragilité m’était proche. « Comment avoir le temps d’avoir un passé ? » peuvent-ils se dire, eux qui cherchent à l’enfouir ce passé et se le jettent au visage, en remplissent des mouchoirs.

samedi 13 novembre 2010

Y a-t-il un bon niveau d’inégalité sociale ?

Avec un tel titre, la dernière livraison de « Books » avait de quoi appâter l’amateur de journaux. Ce mensuel parle de livres du monde entier, en choisit des extraits comme Courrier International avec les journaux. Sa couverture reprend un Marx à lunettes de soleil, imité de l’atelier Grapus qui annonçait ainsi une fête de l’Huma il y a quelques décennies.
D’autres titres m’ont aussi accroché : « Badiou et Finkielkraut, archaïques » « que vaut le vote de l’ignorant ? », mais je suis méfiant ne voulant pas retomber dans ma déception avec l’hebdo Marianne et ses titres racoleurs pour des articles décevants.
La page 2 est apéritive avec un sommaire original, composé de phrases extraites des articles: « le mathématicien extraverti est celui qui regarde vos pieds quand il vous parle ».
« Nous ne voyons pas ce que nous ne cherchons pas ».

Les rubriques habituelles sont toujours aussi intéressantes : cette fois la liste des best sellers en Chine, où en marge des guerres napoléoniennes, un livre anglais sur des bandes de brigands qui semaient la terreur de l’Espagne à la Calabre.
Concernant le dossier sur les inégalités, je suis resté sur ma faim. Ce ne sont pas les histogrammes qui manquent, mais les articles contradictoires mettent en doute les interprétations des données statistiques, à qui l’on fait dire ce que l’on veut, ou l’on tait des évidences ou des paradoxes qui voient que dans certains pays les plus égalitaires, le taux de délinquance est le plus élevé. Cependant le livre « The spirit level » « Le bon niveau », pourquoi les sociétés plus égalitaires font presque toujours mieux, est stimulant et Hervé Le Bras, qui est interviewé, voit la nature de l’état providence déterminante pour le bonheur des citoyens en rappellant que :
« La France est par excellence le pays intermédiaire de l'Europe où les traditions du Nord (héritage égalitaire, droit coutumier, égalité des sexes, exogamie, pouvoir des jeunes) rencontrent les traditions du Sud (héritage inégalitaire, droit romain écrit, séparation des sexes, endogamie, pouvoir des vieux). »
Ils parlent aussi de Wikileaks qui prétend combattre pour la transparence mais cultive le secret.
Le monde est ben compliqué, ces 100 pages ne le rendent pas plus simple, mais apportent d’autres éclairages, loin des larbins du 20h.
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L'association "Grain de sable-Graine de sagesse" réalise un mandala de sable pour SAKINEH condamnée à mort par lapidation en Iran au Gaia-store 6 rue Alsace Lorraine Grenoble
du lundi 15 novembre au samedi 20 à 18h où il sera dispersé.

vendredi 12 novembre 2010

Faut-il empêcher les riches de s’enrichir ?

J’ai retrouvé une copine perdue de vue depuis trois décennies à ce débat de Libé à Lyon, parce qu’elle en avait estimé l’intitulé rigolo. C’est plus accrocheur que l’objectif du millénaire de l’ONU qui prône « l’élimination de la pauvreté ». Et Rony Brauman a bien raison de souligner : " le creusement jusqu’au vertige du fossé entre les riches et pauvres qui est la marque de ces trente dernières années dans le monde appelle d’autres réponses que celles du conservatisme compassionnel sous-tendant les objectifs du millénaire. L’amélioration de sort de l’humanité passe moins par la réduction de la pauvreté que par la lutte contre les inégalités. Pour que les pauvres soient moins pauvres, il faut que les riches soient moins riches ".
Son interlocuteur, Claude Alphandéry, trouve lui aussi que « les politiques libérales de dérégulation au profit des plus riches ont eu des effets dévastateurs sur l’emploi, l’environnement, les niveaux de vie… »
Et l’on pourrait aligner les formules :
« L’inégalité nuit gravement à la santé »Wilkinson,
ceux qui ont échoué, reçoivent des rémunérations mirobolantes et« se tournent vers les E.U. pour les salaires des dirigeants et vers la Chine pour les salariés ».
Chercher un mot plus précis pour remplacer « durable » qui s’épuise à s’accoler avec développement ; « soutenable » ferait l’affaire.
Ecarquiller les oreilles quand on nous rappelle que l’écart des revenus qui était de 1/20 dans les années 60 est passé à 1/500.
Envisager un revenu maximum qui serait à « encapsuler ».
Mais quand on constate que seulement 56% des français sont opposés au bouclier fiscal, on peut mesurer que la propagande est redoutable: quand les riches prétendent payer 50 % d’impôts: «Ils payent au maximum 20 %, car le revenu fiscal est minoré. »
Nous sommes hébétés.
L’état s’est appauvri entre 2000 et 2009 de 119 milliards.
Pour ajouter quelques zéros dans cette barque,
sous le titre « ceux qui font la dette, défont les retraites »,
Attac rappelle d’après les chiffres du Conseil d’Orientation des Retraites
que l’ensemble des niches fiscales en France représente 75 milliards d’Euros de perte pour le budget de l’état alors que le déficit du régime des retraites pour 2010 est de 10,7 milliards d’Euros…
Nous avons perdu cette bataille, encore.Dessin du Canard Enchaîné de cette semaine.