mercredi 5 février 2014

Ethiopie J 19. Vers Addis Abeba.


Nous avons presque tous entendu le muezzin à 5h ce matin.
Le perroquet en verve fait étalage de son vocabulaire :
"good morning,  Salam alekoum, c’est l’amour, gouda, bonjour" en plusieurs langues, en variant le ton et les hauteurs. Il se laisse gratter la tête avec un plaisir évident.
Nous repassons par la route d’hier qui nous ramène en altitude après un petit détour pour photographier la gare des « chemins de fer Djibouto éthiopiens ».
La route vers Addis est tranquille. Il n’y a pas de marché et peu de camions: c’est la fête de l’Aïd, la fin du ramadan. Nous croisons des processions avec d’un côté une rangée d’hommes,  et de l’autre une rangée de femmes. Dans les oueds asséchés sont installés pareillement une ligne de femmes et une autre d’hommes. Tous les gens portent des vêtements neufs et colorés, tellement neufs que les tissus des longins des hommes originaires d’Indonésie portent encore leurs grandes étiquettes dorées.
Arrivés au croisement de la route pour Djibouti, cette fois ci nous passons vite fait la douane et nous ne sommes pas bloqués au milieu des camions à cause des travaux où nous attendent toujours quelques singes. Nous déjeunons au Genet hôtel en compagnie des mouches comme à Diré Dawa. Pour couper le trajet, nous nous arrêtons à Nazareth ou Adama (la terre en Oromo) à l’hôtel Maya qui nous montre une face plus riche de la société éthiopienne : les tables sont disposées sous un vénérable flamboyant au bord d’une piscine dans laquelle barbotent quelques enfants de « bonnes familles ». Les sanitaires aux larges carrelages ont des aspects modernes quoique miroirs et tablettes penchent et les portes ne ferment pas.
Il nous reste encore une centaine de Km sur le goudron mais les nids de poule ou les ruptures secouent bien assez les sièges au fond du mini bus.
 Nous arrivons vers 19h, de grandes flaques d’eau laissent imaginer le temps d’aujourd’hui et les nuages ne sont pas bien loin. Le Blue Bird Hôtel que nous avions connus le premier jour nous apparait plus luxueux et confortable qu’à l’aller.
Nous sortons dîner dans un restau prisé des habitants d’Addis, dans un quartier où nous distinguons de belles maisons, et aussi quelques prostituées dans la nuit. Le « Dodi » s’inspire du style Mac Do. Nous passons commande et nous attendons, attendons jusqu’à être transis de froid avec de la buée  qui sort de nos bouches, nous nous installons à l’intérieur mais attendons encore soupe et pizza. En plus il n’y a  pas de bière : le patron soudanais   étant musulman. Nous sommes contents de nous glisser sous la couette douillette et chaude.

mardi 4 février 2014

Cher Régis Debray. Alexandre Franc.

Comme si ses essais ne suffisaient pas, le voilà mon cher Régis Debray, en BD !http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/10/jeunesse-du-sacre-regis-debray.html
Et c’est un régal ! De toutes façons trois phrases m’auraient suffi, alors une promenade du côté du Panthéon ou  de la Porte dorée, un tour de manège, un masque de chat, me comblent parmi des extraits bien choisis.
« Instruire, c’est selon l’étymologie, mettre en ordre, mettre debout, édifier ; la République est un édifice, dont l’instruction primaire est la base ; et l’enseignement de la philosophie dans le secondaire la clef de voûte[…] supprimez le projet spéculatif, rayez l’apprentissage des métiers l’abstraction désintéressée, et vous n’aurez plus en guise d’instruction publique que dressage et maternage, fabrique d’esclaves spécialisés pour les besoins de l’industrie  ou bien pépinière de vieux poupons crédules en manque de gourous et de nourrices. Tout sauf une école de citoyens. »
Le producteur d’images s’appelle comment  déjà? Il est beaucoup question de la France, sans caricature mais avec ferveur, au cours de cette correspondance dessinée, mais aussi de lave-linge et  
«  des jeunes qui sont forts en compagnie et les vieux en solitude. »
Le narrateur se cherche et apporte à la statue de papier du prisonnier de Camiri, une légèreté qui ne se confond surtout pas avec la facilité : fluide, habile, invitant à la réflexion.
« Nation » a la même étymologie que « naissance » et « patrie » va avec « père ».
Il y a des chaises longues, des bouteilles de vin, et les lettres du philosophe s’accordent bien à la ligne claire du jeune homme.

lundi 3 février 2014

Le démantèlement. Sébastien Pilote.

Le Film apparu à Grenoble furtivement une semaine avec un seul créneau horaire, revient dans la programmation de la biennale de Cinéduc vendredi 21 février à 20H45,  à l’Ecran Vagabond du Trièves à Clelles.
Comme une de ses filles vivant à Montréal a besoin d’argent, un éleveur de moutons vend sa ferme. Pas de discours solennel sur la terre ou de pathos sur une vie de travail qui s’achève : le film est juste, simple, et beau. En accord avec ce milieu peu bavard.
Un petit fils qui vient rarement voir son grand père maladroit nourrit un agneau au biberon. Le tableau pourrait être niais. Il est bouleversant. J’ai pu lire au moment du festival de Cannes qu’il s’agissait d’un « géronto-drame », combien de fois des œuvres mineures nous ont interpelés bien plus intensément que des monuments ?
Je sais la brutalité de la vente d’une ferme, d’un troupeau, et au bout d’une carrière consacrée parait-il à la transmission, la réponse à la question : « que reste-t-il ? » tient au mieux dans une boite d’allumettes. Et c’est tant mieux. Merci de ces rappels essentiels qui font rire un peu trop fort quand un copain bien intentionné traite le têtu sexagénaire de niaiseux.

dimanche 2 février 2014

Mon traître. Emmanuel Meirieu.


Emmanuel Meirieu, le metteur en scène, est le fils de Philippe, acteur majeur des débats pédagogiques des années 2000 et conseiller régional EE vert. Le travail du trentenaire mérite les félicitations, terme banni désormais dans les appréciations pédagogiquement correctes.
Les mots et l’esprit, la force de Sorj Chalandon, dont deux romans ont nourri la pièce, sont rendus avec une économie de moyens qui va au cœur des tempêtes secouant nos humaines destinées.
Pour raconter son parcours, Chalandon, l’ancien journaliste de Libération, se met dans la peau d’un luthier parisien devenant ami avec un héros de la cause irlandaise qui va s’avérer être un traître http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/06/mon-traitre-sorj-chalandon.html .
Les protagonistes viennent à tour de rôle s’exprimer au micro.
 « ça fait quoi, Tyrone Meehan, de tenir une épaule devant un lac noir, de serrer la main que l'on trompe, de vendre l'amitié, l'amour, l'espoir et le respect? »
Si j’ai trouvé que l’acteur qui joue Tyrone Meehan, le traître, s’exprime trop gravement tout au long de son monologue, la sobriété du dispositif met en relief le talent des trois acteurs, les deux autres jouant le fils et le petit français. L’incroyable violence du conflit qui s’est déroulé près de nous, dans l’espace et dans le temps, prend une place si importante qu’elle nous éloigne du questionnement que je m’apprêtais à entamer concernant plus intimement, la trahison de mes idéaux de jeunesse.
Mes petits états d’âme pourront attendre, ils s’effacent sous la merde contre les murs de la prison de Long Kech, les morts au bout de grèves de la faim, et cette enfance assassinée par une terrible histoire : 
« Une princesse et son prince vivaient heureux dans leur château. À la naissance de leur premier enfant, les pierres de la tour se mirent à tomber. Au deuxième enfant, elles tombèrent plus encore. Et plus la famille s'agrandissait, plus la tour s'écroulait. Le prince partit, et la princesse mourut, écrasée par un bloc de pierre. Alors les enfants se transformèrent en corbeaux. »

samedi 1 février 2014

Trop de bonheur. Alice Munro.

Dix nouvelles :  dans ce concentré de littérature la brièveté n’empêche pas l’exploration d’un quotidien qui ne reste pas longtemps assoupi.
Passé le premier instant d’acclimatation à un genre que je n’avais plus fréquenté depuis un moment, nous entrons facilement dans des univers différents où chaque fois se dévoilent des secrets, des vérités qui ne sont pas péremptoires.
Les êtres sont incertains. Des enfants souffrent, meurent, les personnages féminins la plupart du temps au premier plan essayent de s’arranger avec leurs couples bancals, le bonheur n’est  vraiment pas à l’ordre du jour.
La mathématicienne dont le récit de sa vie donne son titre à l’ouvrage de 325 pages a du lire la formule « trop de bonheur » dans un livre, la réalité est si éloignée de tout excès de tranquillité, d’accomplissement, ne serait ce que d’un brin de contentement.
 « Je commençais à comprendre qu’il existe des causeuses que les gens aiment écouter, non pour ce qu’elles racontent, mais bien à cause du délice qu’elles se font de le raconter. Elles se délectent d’elles-mêmes, le visage illuminé, convaincues que tout ce dont elles parlent est remarquable et qu’elles ne peuvent s’empêcher de donner du plaisir. »
L’octogénaire qui vient d’obtenir le prix Nobel ne manque pas d’humour, elle met en scène une scène de dédicace :
«Joyce n’a jamais compris cette histoire qui consiste à faire la queue afin d’entr’apercevoir l’auteur puis de repartir en emportant le nom d’un inconnu inscrit dans le livre. »

vendredi 31 janvier 2014

Travail bien fait.



Perles :
Nos boites mails aiment bien les perles d’élèves, mais les profs en exercice goûtent modérément les contre-sens, les incongruités des jeunes qu’ils ont à enseigner.
Alors quand dans ses piles de copies ma prof extrait un devoir remarquable par son expression, sa finesse, son savoir : c’est un moment précieux, mais destiné à être tenu caché.
Elle se demande si ce ne serait pas desservir l’auteur de ses lignes devant sa classe à qui ne sont pas épargnées pourtant les récriminations quant aux incivilités de quelques uns, ni les grossièretés d’autres, participant à une atmosphère où il vaut mieux cultiver l’indifférence, le mépris que l’exigence. L’excellence se doit d’être discrète dans un établissement où demander à un élève de ramasser un papier frôle la maltraitance.
Les Star Academy, les agences de notation ne cessent d’imposer leur loi, les classements abandonnés depuis longtemps à l’école fleurissent dans les hebdomadaires qui daubent par ailleurs sur les notes à l’école.
Taf :
Sur une radio où « Les grandes gueules » sont une image de marque, un conducteur de chantier intervenait au téléphone :
« Quand je suis au taf, je regarde pas les gonzesses » à propos de François et sa Julie.
Je ne pouvais qu’approuver car il se faisait visiblement une haute idée de la fonction présidentielle.
Sur ce coup le maçon est plus respectable que le Vespasien.
Besogneux :
Le mot « travail » fut inscrit au dos de pièces qui n’ont plus court depuis longtemps et la réhabilitation des métiers n’a pas été favorisée par l’Exorbité à la barbe de trois jours, pourtant je frise l’aventure, si de surcroit, je qualifie la besogne de « bien faite ».
Alors que ceux qui ont un job sont souvent en mode stress, la conscience professionnelle pourrait devenir un sujet pour musée du folklorique, tant elle se dissimule et se fait rare.
Lorsque dans une conversation le sujet arrive sur ceux qui rénovent les façades, les plombiers, les profs, les policiers, les femmes de ménage, les aides soignantes, les dentistes, les cuisiniers, les employés de mairie, de la poste …  les footballeurs, le robinet à bile s’ouvre en grand, et les politiciens !
Désormais au pays où le ministre du budget planquait son pognon en Suisse, il vaut mieux se la jouer détaché des contraintes de sa tâche que de laborieusement, servilement se mettre au service de ses administrés, de ses clients. Et se payer un coach pour méditer.
Nous avons tellement perdu le sens des valeurs et du prix de notre liberté que nous aurons vite oublié que des personnes avaient envie de l’Europe depuis l’Ukraine.
Cette liberté dans laquelle nous baignons, nous ne la voyons plus, nous ne savons plus en user quand d’autres aspirent à y accéder, à en mourir.
.............Dessin d'Aurel:
 

jeudi 30 janvier 2014

Cornell et les surréalistes. Musée des beaux arts Lyon.

Parce que les surréalistes étaient la modernité en nos années lycée, leurs collages à l’heure de Photoshop ont certes le goût familier du passé déposé sur un  coin de trottoir un dimanche matin de brocante, mais font dépassés, leur audace éventée, leur originalité dévaluée par une profusion d’images qu’ils ont influencées.
Jusqu’au 10 février à côté de l’Hôtel de ville, nous pouvons découvrir après le MOMA, les productions de Joseph Cornell qui rencontra Dali, Duchamp, Ernst, Man Ray… entre 1930 et 1940 quand l’Amérique recevait des bannis de l’Europe et que le surréalisme vivait à New York, son âge d’or.
Les assemblages peuvent être insolites, détournés, le merveilleux tient dans une poche.
Rêves, trompe l’œil et poésie de l’ordinaire.
Le quotidien s’enchante, les objets s’animent, le plus ténu des ressorts, le plus fin des fils, le plus banal des écrins prennent toute la place que nos imaginations appâtées leur inventent.
Mis en boites, derrière leur vitre, les sables, les verres, les boules nous invitent à  les regarder et à voir le monde différemment.
De Chirico, Eluard, Breton jouent leur partition.
Cornell rencontre aussi des néo-romantiques qui officiaient beaucoup dans les décors de théâtre ou de danse. Il constitue une collection de remontages de séquences au cinéma qui fait référence : films collage.
Et plus ça va, plus l’influence de Duchamp me parait déterminante, celui-ci embaucha Cornell pour construire de petits musées portatifs.
Il travaille aussi le mouvement,  les effets d’optique, confectionne des jouets ; un moment proche de l’expressionnisme abstrait, il aborde aux rives du minimal art et du pop art.
En 1972, il meurt à 69 ans