jeudi 30 avril 2015

Apparu/disparu : le fantastique dans la littérature et dans l’art. Michel Viegnes.

Parmi les oppositions: illusion/réalité, raison/croyance, le couple apparu/disparu a semblé plus fécond au conférencier pour aborder le thème du fantastique devant « Les amis du musée ».
Bien que « Etre/paraitre » eut aussi la rime riche.
En mettant au jour nos spectres intérieurs, le fantastique élargit notre vision du monde.
Le propos plus documenté en littérature qu’en peinture, s’est conclu sur le rôle de l’artiste, médiateur entre deux mondes:
«  L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ». Paul Klee
Les apparitions dans les saintes écritures font partie de la foi religieuse et les hallucinations procèdent de la psychiatrie dans les hôpitaux profanes.
Pour les illusions douteuses perturbantes, les « fantastiqueurs » qui travaillent volontiers dans la pénombre ne se confondent pas avec les auteurs des contes, légendes, et mythes traditionnels qui vivent dans la lumière.
« Ce fut comme une apparition », dans le registre amoureux, nous passons du réel à l’imaginaire. 
De Flaubert à Nietzsche :
« … cette fatigue pauvre et ignorante qui ne veut même plus vouloir : c'est elle qui crée tous les dieux et tous les arrière-mondes ».
Nous naviguons entre les phares, Baudelaire:
« Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes,
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,
Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,
M'apparut. »
Cet extrait des « 7 vieillards », aux 13 quatrains, était dédié à Victor Hugo, qui  avait compris « le frisson nouveau » que ferait passer le traducteur de Poe.
L’auteur des « Fleurs du mal » voyait la ville pas seulement comme un décor :
« Fourmillante cité, cité pleine de rêves,
Où le spectre en plein jour raccroche le passant ! »
Ce poème du haschich, où l’image du vieillard se multiplie, amène une excroissance du réel, un basculement. Cette allégorie du temps, signe l’entrée du monde dans l’ère de la répétition.
En ce moment les légendes urbaines sont ravageuses.  Et Le Golem qui hantait les rues de Prague a échappé à son créateur. 
Le colosse à l’âme fissurée, Maupassant, également syphilitique, assiste à sa propre dégradation : le Horla est un « halluciné raisonnant ».
Dans un de ses contes titré « Apparition » : « Une grande femme vêtue de blanc me regardait, debout derrière le fauteuil où j'étais assis une seconde plus tôt. »
« La fille en blanc » peinte par Whistler convient pour évoquer le saisissement qui fige la pensée, quand toute faculté de s’abstraire est abolie, au-delà de l’horizon humain.
Le choix des « Têtes guillotinées » de Géricault  permet lui d’évoquer les drames qui de Lady Macbeth à Richard III allient la peur à la culpabilité, au pays des rêves éveillés.
Dans « La chute de la maison Usher », le maitre Poe, réunit quelques uns de ces noirs sentiments, plus une  prophétie auto réalisatrice quand  Roderick enterre sa sœur vivante.
« Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio, qu’il n’en est rêvé dans votre philosophie » Hamlet
« They are more things », dans cette nouvelle, Borges parodie Lovecraft maître de l’horreur, en ébranlant jusqu’à la géométrie, nous laissant deviner, s’installant dans une maison, une altérité irréductible, venue d’un autre monde. 
Comme le réalise Giger, le créateur d’Alien, qui hybride organique et mécanique.
« Il n'est point de serpent, ni de monstre odieux,
Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux ;
D'un pinceau délicat l'artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable. »
Boileau
L’image du « Livre de sable » de Borges est proprement affolante, en se recomposant à chaque fois, il ne finit pas, il disparait pour mieux réapparaitre.
La disparition, un vide au cœur du réel, une béance.
Les images nous fascinent, elles constituent un monde complexe et se rapprochent de l’expérience fantastique.
A l’intérieur de leur cadre, elles acquièrent du prestige, comme le temple qui délimitait un espace sacré. Dans l’exposition de « l’art dégénéré » les nazis avaient arraché les œuvres à leurs cadres.
« L’araignée » d’Odilon Redon est souriante, celle de la nouvelle d’Ewers fatale : fasciné par la femme qui s’encadre dans la fenêtre d’en face, un jeune homme va se pendre.
Mais l’être fantastique peut échapper à sa représentation : ainsi la Vénus de Prosper Mérimée impossible à croquer. Prosper est le complice des profanateurs de tombes dans la nouvelle de Maupassant: « Le tic »

mercredi 29 avril 2015

Iran. Philippe Bichon.

Les ouvrages concernant l’Iran touristique sont suffisamment rares pour apprécier 144 pages où se mêlent dessins, photographies et récit à la main.
Ce carnet de voyage, à peine plus grand qu’un passeport dont il reprend l’aspect, est plaisant. Comme pour les critiques de cinéma qu’il est plus rentable de lire après qu’avant le film, l’abondance des noms de lieux ne dira pas grand-chose à celui qui envisage le voyage, et sera plus utile pour réviser les plaisir d’un périple assez proche de celui que nous avons narré chaque mercredi de cette année  http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/09/quest-ce-que-vous-allez-faire-en-iran.html.
L’auteur m’a fait découvrir une nouvelle profession : il est « carnettiste ».
Agréable, mais sans plus, alors que le genre « carnet de voyage » a ses sites, ses festivals et de réelles réussites originales. Les aquarelles conviennent bien au genre certes mais ne vont pas au-delà d’un prétexte pour entrer en relation avec les habitants ou d’un tremblement du réel qui aurait besoin de s’affranchir de la reproduction presque exclusive de diverses mosquées sans guère de silhouettes humaines. Le voyageur s’est pourtant appliqué à parler le farsi et à communiquer grâce à la musique, mais son récit un peu conventionnel manque de verve. Et n’est ce pas une nouvelle idée reçue symétrique de la diabolisation dont était victime ce pays de souligner essentiellement l’accueil  chaleureux de la population ?

mardi 28 avril 2015

Biscottes dans le vent. Rabaté. Bibeur Lu.

Tellement gentil qu’on ne croirait pas que ce récit en bandes dessinées d’un quotidien paisible tiendrait jusqu’au bout, eh bien si !
Le jeune Daniel Saboutet  trouve du travail à la Poste, il est entouré de potes serviables, de parents attentifs mais pas envahissants. Il construit des maquettes d’avion qui séduisent une voisine.
« - Je te laisse fiston !
- Ah ! J’oubliais… Tiens, cinquante Euros. Tu dis rien à ta mère... »
La mère avait fait pareil à la page d’avant.
Il y a bien parfois un peu de caricature dans l’air, les collègues, les clients, la tournée ponctuée de coups à boire. Mais une pause dans les violences de l’heure fait bien du bien.
L’album date de 2013, alors on pourrait croire qu’il s’agit d’un récit historique, tant en 2015, le chômage est devenu la norme, le cynisme la règle, le pessimisme le chemin.
Le titre reste énigmatique, et si Rabaté dans la tendresse fut moins hors du temps http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/05/les-petits-ruisseaux-rabate.html, profitons de ces 240 pages qui durent le temps de quelques chanson de Trenet. Nous reviendrons bien assez tôt à nos noires déferlantes.
……
Aujourd’hui c’est le 2000° article que je publie sur ce blog. Celui qui a été le plus lu concerne la BD, « Les profs » ( 2600 vues) devant « Les bidochons font de l’informatique ». L’article d’hier concernant Léopardi  a reçu 6 visiteurs qui rejoignent les 300 038 clics comptabilisés depuis mai 2010.

lundi 27 avril 2015

Leopardi, il giovane favoloso. Mario Martone.

Pour voir de la poésie, ces temps-ci, il me semblait intéressant d’aller au cinéma. Après le grand breton Keats http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/01/bright-star.html , faire connaissance avec un autre phare du XVIII° finissant, au pays de Dante.
De belles images, mais le souffle est un peu court.
Il m’a fallu lire les critiques de la presse après la projection de 2h et quart pour percevoir les enjeux politiques qui accompagnaient la poésie du Rimbaud italien au delà du côté réac d’un père dont il aura du mal à se détacher lors d’une vie interrompue à 38 ans.
La très riche bibliothèque paternelle permettait toutes les évasions de l’esprit tout en constituant un lieu d’enfermement pour un corps souffrant.
Si l’on voit l’attachement de son ami  révolutionnaire napolitain Ranieri, on ne saisit pas ce qui les lie. Le bel Antonio séduit la belle Fanny que le souffreteux poète aime de loin.
« Quant au bonheur des masses, il me fait rire, car mon petit cerveau ne peut concevoir une masse heureuse composée d'individus qui ne le sont pas. »
Wikipédia est nécessaire aussi pour connaître l’étendue du génie, la diversité et la précocité des talents du «sombre amant de la mort» d’après Musset.
Que c’est difficile de déguster les mots sans être aspiré par la biographie!
Devant les genêts qui poussent sur le Vésuve :
« Aujourd’hui, partout
Ce ne sont que des ruines
Où tu vis, ô gracieuse fleur, en ayant 
presque pitié des épreuves des autres, au ciel 
Tu répands une douce odeur de parfum,
Qui console ce désert. »
Tant d’autres citations pourraient enrichir nos noires tablettes :
« Les hommes, qui sont malheureux par essence, veulent croire qu'ils le sont par accident. »

dimanche 26 avril 2015

Billie Holiday. Antoine Hervé.

Bien de mes voisines de fauteuils de la MC2  se lassent des blagues d’Antoine Hervé,
je continue à les aimer, les blagues, et mes voisines.
Quand il dit : « le père de Billie était un poseur, un dragueur, un charmeur, mais n’était pas à l’heure » ça me va, et s’il reconnait lui-même abuser de l’expression : «  produits dérivés » pour dire la drogue qui ravagea la vie de « Lady Day », ce ne fut quand même pas un élément anecdotique dans cette vie chaotique.
Par contre, elles, les voisines, sont d’accord avec moi pour reconnaître les talents de pianiste du pédagogue dans ses dialogues tout en souplesse et professionnalisme avec sa chanteuse Olga Mitroshina qui avait bien tort de cacher son charmant minois sous un bonnet et un chapeau, pour mieux laisser apprécier une voix subtile. Et pas de quoi brailler, comme une spectatrice au moment du rappel qui demandait aux artistes : « sans micro ! ». Se croyait-elle dans les clubs des années 30 où il ne fallait pas attirer l’attention des policiers ? Alors que Billie Holiday tira justement des micros toutes les nuances permises par la retenue.
Née à Baltimore, il y a cent ans, Eleanora Fagan a vécu 44 ans. Sa biographie se rapprocherait de celle de Piaf :  
« Si je ne brûlais pas, crois-tu que je pourrais chanter ? »
Une fleur de gardénia dans ses cheveux fut son emblème, elle a fleuri sur une misère qui vit le jour d’une mère de 13 ans, se réveilla dans les bras d’une grand-mère morte dans la nuit,  plus tard violée par un voisin, aima hommes et femmes, connut la prison, la came, la gloire et la chute. 
Quand elle chante « God bless the child»:
« Them that's got shall get
Them that's not shall lose
Ceux qui ont, auront
Ceux qui n'ont rien, perdront »
Elle sait de quoi elle parle, et  Augustin Trapenard n’aura rien à dire, sur ce coup.
Elle commença par imiter Louis Armstrong et rencontra les plus grands : Benny Goodman, Lester Young, Duke Ellington, Count Basie, Artie Shaw, Art Tatum, Dizzy Gillespie
quand ces heures de la prohibition furent les plus inventives pour le jazz. 
« Le jazz : le son de la surprise »
Elle chanta « Strange fruit », qui tranchait avec ses chansons d’amour. Le succès de cette protest song, parmi les premières, n’empêcha pas les difficultés pour la chanter en particulier dans le sud. Près de 4000 noirs avaient été lynchées en 50 ans aux Etats Unis avant 1940.
« Les arbres du Sud portent un fruit étrange
Du sang sur les feuilles et du sang sur les racines
Des corps noirs se balancent dans la brise du Sud
Un fruit étrange est suspendu aux peupliers »

samedi 25 avril 2015

Un moment si doux. Raymond Depardon.

Ce livre de 160 pages en couleurs est édité à l’occasion de l'exposition du photographe normal le plus célèbre de France au Grand Palais début 2014.  Il nous ramène du temps où on était regardant sur le nombre de diapos qui recueillaient mieux les teintes, domaine qu'il n’avait guère privilégié, pas plus qu’il n’a jamais recherché le dernier appareil à la mode.
Trimballant ses boitiers économes aux quatre coins du monde, celui  qui fait les photos  « que tout le monde pourrait faire et que personne ne fait », n’a jamais oublié ses racines de cultivateur.
Ce sens de l’économie bien sûr, et une timidité, une humilité allant avec des coups d’audace en font un familier aussi bien des personnes en vue que des paysans au Chili, en Bolivie, en Ethiopie …
Des chiens errent dans les rues, les femmes courbées sous des charges pesantes s’éloignent au long des routes, à Buenos Aires les passants croisent des ombres et les plages d’Honolulu ne font pas rêver.
Se disant peu courageux sur les théâtres de guerre, il va choisir à Beyrouth par exemple une voiture criblée de balles  plutôt qu’un snipper derrière sa kalachnikov.
J’ai beaucoup aimé ses paysages inédits à Glasgow, quand dans les années 80, il était possible de saisir des enfants sur pellicule alors que c’est devenu tabou aujourd’hui autant que des images de militaires hors reportage embarqué. Les couleurs sont sombres et le noir et blanc aurait tout aussi bien convenu,  même si le rose du chewing-gum  de la photo qui illustre l'article, pète. Par contre comme il le dit lui-même dans ses portraits de paysages de France http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/10/la-france-de-depardon.html , pour retenir ce qui disparait la couleur souvent très claire et presque transparente s’imposait.
Comment fixer l’image d’un tracteur Massey Ferguson sans le rouge ?

vendredi 24 avril 2015

Ça brûle !

Ce matin là, j’étais parti, grognant à propos de papiers jetés à côté des poubelles, mais dans la période comme les moments calmes deviennent une exception, je sens le besoin d’aligner trois mots pour évoquer quelques pas le long de la voie du tram qui déroule son tapis de verdure à travers une ville qui s’embellit. Je suis passé par un parc avec ses oiseaux, ses coureurs, ses amoureux, ses boomeurs et ses babies.
J’arpente mon territoire en paix où s’affirme le printemps, et je me réfugie face aux dérèglements du monde.
En fin de semaine dernière, des abrutis ont mis le feu à des locaux sportifs à la Villeneuve et au théâtre Prémol du village olympique.
Pourtant dans les parages les citoyens n’ont pas été dispensés dans leur jeune âge d’activités transversales concernant « le vivre ensemble ».
Dans les incertitudes de l’écriture, j’avais formulé d’abord « nos élèves ont mis le feu » pour assumer mon créneau comme d’autres dans les réseaux sociaux qui ne parlent que de Palestine ou de Grèce : moi c’est l’école et j’en décolle pas.
Non que je tienne à me fustiger particulièrement en une pose inoffensive, mais pour réagir  par rapport à d’autres qui à l’occasion ont ressorti le coût du stade des Alpes et patati c’est la faute au foot professionnel et patata, je ne suis pas la justice ... malheureux incendiaires !
Ceux qui ont été élevés par notre société, s’en prennent au bien public détruisant des années d’investissement bénévole, atteignant  la solidarité, le loisir, le plaisir et la réflexion.
Ne reste-t-il qu’à être consterné ?
Tout participe à la confusion. Des morts en Méditerranée, on passe à des propos des plus débiles évoquant la pédophilie des moniteurs de colonie de vacances en plein dans un reportage visant à illustrer l’intérêt des colos. Dans des commentaires sur Facebook, le pédophile, terme décidément très en vogue, est instituteur.
Dans Politis, Philippe Val par dessin interposé est grossièrement attaqué ; il s’est élevé contre la sociologie de bistrot qui vise à tout excuser. Le débat est clôt avant d’avoir commencé. Chaque jour, on peut relever la fuite face aux problèmes posés.
Statues détruites : parlez plutôt violences policières,
chasse à l’étranger en Afrique du Sud : voyez les scandales financiers …
« Dans certains cas l’automatisation consiste à repousser les limites de la déqualification, sauf que ce sont des capacités cognitives, intellectuelles, et bientôt peut-être émotionnelles, que nous acceptons de perdre. »
Cette réflexion dans Libé concerne les objets connectés et ce court extrait participe peut être à l’embrouillement des idées, mais cette deshumanisation n’est pas générée que par les machines, les religions  y contribuent …  et il faut croire aussi, l’école ! 
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L'image de la semaine est prise dans "La Vie"