jeudi 26 mai 2016

L'Homme irrationnel. Woody Allen.

En abrégé l’avant dernier film du prolixe cinéaste qui était resté dans un coin d’ordi avant que je me régale à celui de cette année qui promet sa dose de nostalgie :
cette fois là un prof de philo retrouvait la joie de vivre par le meurtre.
Le réalisateur qui passe depuis si longtemps de la comédie à la noirceur et inversement, pouvait-il nous sortir du noir d’un week-end de novembre avec un tel sujet ?
Joaquin Phoenix en prof désabusé, et Emma Stone la fraîche élève.
La musique jazzy, bien sûr, donne une légèreté qui nous fait avaler des artifices de scénario qui rapprochent certaines scènes du théâtre de boulevard.
L’enjeu concernant l’aptitude à se laisser aller à nos intuitions premières est posé légèrement dans cette agréable promenade en milieu universitaire cosy. Si ce n’était la réputation de Woody, qui n’a pourtant pas atteint semble-t-il certains étudiants en cours d’anglais à l’université, nous n’aurions pas prêté attention à cette histoire qui s’avère inoffensive. Pas vraiment essentiel.

mercredi 25 mai 2016

La tour de Babel. Gilbert Croué.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble nous avait déjà régalé la saison dernière avec un exposé à propos du douanier Rousseau, actuellement exposé à Orsay
Cette fois il revient sur les mythes, les rêves et les réalités de la Tour de Babel évoquée chaque fois qu’une construction ambitieuse se profile ou lorsque toute assemblée mélangée de peuples divers se réunit, voire toute conférence mondiale, genre « machin » comme disait De Gaulle de L’ONU. Ci-dessus «  Le parlement européen de Strasbourg ».
Dans la nuit des temps, le Déluge voulu par Dieu avait ravagé la terre ; après coup, les descendants de Noé écoutèrent les recommandations divines :
« Soyez féconds, multipliez, et remplissez la terre »
Les tribus proliférèrent. Nemrod, le chasseur, petit fils du constructeur de l’arche S.P.A., fils de Cham le fils maudit, est devenu roi de Babel.
« Labbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe »  datant du IX° siècle conserve des fresques remarquables concernant Babel en Mésopotamie, qui signifiait : « la porte ».
« Toute la terre avait une même langue et les mêmes mots. Comme les hommes étaient partis de l’orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Schinear et ils y habitèrent. Ils se dirent l’un à l’autre : « Allons ! Faisons des briques, et cuisons-les au feu. » Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de ciment. »
Les « mosaïques de San Marco à Venise » témoignent de l’inachèvement de l’entreprise des hommes pour exister face à Dieu.
« Ils dirent encore : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur toute la surface de la terre. » Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. »
« La fresque du baptistère de la cathédrale de Padoue » met en évidence Nemrod, le rebelle, qui voulait demander des comptes à Dieu pour avoir ruiné les hommes lors du déluge.
« Et Yahvé dit : « Ils forment un seul peuple, ont tous une même langue, et voici leur première œuvre. Désormais aucun projet ne leur sera impossible. Allons ! Descendons et brouillons ici leur langage, afin qu’ils ne se comprennent plus les uns les autres. »
Ci-dessus, une miniature parmi une multitude de représentation d’un mythe si populaire au moyen âge, du  « Maître de la chronique du temps » à Munich.
« Et Yahvé les dispersa loin de là sur toute la surface de la terre ; et ils cessèrent de bâtir la ville. C’est pourquoi on donna à celle-ci le nom de Babel, car c’est là que Yahvé brouilla le langage de tous les habitants de la terre, et c’est de là que Yahvé les dispersa sur la surface de toute la terre. » La Bible, Ancien Testament, « Genèse », chapitre XI.
Rejoindre Dieu, s’unir à lui ou le défier ?
Dans un manuscrit conservé au British Muséum, Dieu est monté sur une échelle pour surveiller l’avancement des travaux.
Ce mythe puissant marque-t- il l’invention de la division ou la naissance d’une richesse née de la diversité ?
Hérodote, au Ve siècle av. J.-C., décrit à Babylone, une tour de huit étages avec une rampe extérieure dont la base mesure un stade (180 m).
La représentation la plus fameuse de cette utopie est celle de Bruegel l’Ancien, inspirée du Colisée romain et des enluminures comme celles du « Bréviaire Grimani »  à Venise. Il parle également de sa ville d’Anvers dont la population vient d’être multipliée par dix.
Cette  « Grande Tour de Babel » (1563) a connu un nombre très important de copies mais rien que dans une version plus petite on a pu compter 700 personnages. Ce sont surtout les flamands, les hollandais, pas tellement les latins, qui ont illustré le thème. L’ancien testament  auquel se réfèrent plutôt les protestants faisait part de la dispersion, de l’incompréhension entre les hommes. Le nouveau testament rappelle comment les apôtres lors de la Pentecôte reçurent le don des langues pour s’adresser à tous les peuples de la terre.
Si le sujet se tarit au XVII° siècle, « Vertigo »  du peintre symboliste belge, Léon Spilliaert nous donne le point de vue de Dieu.
La tour de Fritz Lang dans « Métropolis », parabole du capitalisme, témoigne de la ville inégalitaire dont le projet a été confisqué par quelques uns.
Jakob Gautel a empilé 15.000 livres en spirale
et les montages de Zhenjun Du, annoncent l’apocalypse avec « Old Europe»
Des photographies d'Éric De Ville voient Bruxelles en Babel.
Tant de réalisations depuis la pyramide de Khéops 2560 avant J.C., de ziggourats, minarets, donjons, beffrois, flèches, tours, cathédrales, buildings sont partis à l’assaut du ciel : rien n’est trop beau pour le tout puissant, et le pèlerin suivra. La tour Eiffel, « tour du Fada », fut la plus haute jusqu’en 1931, dépassée par l’Empire State Building. Un projet chinois vise mille mètres de hauteur ; actuellement à Dubaï 35 000 personnes travaillent dans un gratte-ciel de 838 m.

mardi 24 mai 2016

Comment comprendre Israël en soixante jours (ou moins). Sarah Glidden.

Décidément, j’ai des problèmes avec les titres en ce moment :
cette BD au sujet « toutchy » comme dit pénélope Bagieu
est tout le contraire d’un exposé magistral car l’auteure a plus de doutes à nous faire partager que de certitudes.
Partie tous frais payés depuis les Etats-Unis en voyage organisé du plateau du Golan à Tel Aviv et Jérusalem, elle va modérer ses appréhensions de participer à une opération de propagande.
Son évolution est d’une efficacité certaine, car soutenue par une sincérité scrupuleuse pendant  200 pages à l’aquarelle saluées par Delisle, un maître en BD qui sait de quoi elle parle
Nous  partageons les explications de différents guides, l’émotion de certains témoins, les sentiments de l’auteure et ceux de ses compagnons de voyage qui mettent de la distance, de la nuance, de la diversité, de l’humour dans ce  périple intense où la complexité ne se dérobe pas. Toujours à l’affut d’aller voir au-delà de ce qui lui est présenté, elle ne pourra mener à bout son projet de faire un tour en Cisjordanie.
La jeune dessinatrice qui a obtenu la reconnaissance, en figurant parmi les 10 meilleurs romans graphiques parus en 2010 aux Etats-Unis, connait aussi le travail magistral de Sacco  concernant la Palestine
La BD est indubitablement un agréable et efficace moyen de compréhension.

dimanche 22 mai 2016

Cannes cinéphile 2016.

Il y a autant de festivals que de festivaliers.
Voici au bout de 30 films, mes  impressions, comme chaque année,
Alors que dans les files d’attente, nous parvenait l’écho de scènes d’inceste et de cannibalisme, avec l’amie qui me fait le cadeau de m’accueillir à cette période, nous nous étonnions de la tonalité humoristique de cette cuvée, genre que nous recherchions parfois en vain, quand apocalypse et drames étaient régulièrement au menu. 
Ainsi sont plaisamment présentés :
« Last cab to Darwin » traitant pourtant d’une mort annoncée,
« Victoria », de nos vies affolées,
« The dressmaker (La couturière) », de vengeance avec  bien plus d’inventivité qu’un Tarentino.  
Et  encore nous n’avions pas vu « Le voyage au Groenland », « voyage au bout de l’inuit », où se rencontrent comédiens intermittents parisiens et autochtones, ni « L’effet aquatique » dans le sillage d’une maitresse nageuse, de Montreuil en Finlande.
Notre plaisir cette année n’a pas tenu à la révélation d’une œuvre transcendante, mais en la découverte de nouveaux réalisateurs dont nous n’avons pas encore mémorisé les noms.
Nous n’oublierons pas - tout au moins immédiatement - leurs films aux approches délicates qui laissent de l’espace pour les interprétations :
« L’économie du couple », équitable, ou le puissant « Voir du pays » avec des soldats de retour d’Afghanistan, « Tour de France », réjouissant et consensuel, « Mercenaires » qui va bien au-delà d’une plongée au pays du rugby.
La fiction prend souvent des allures de documentaire et nous révèle avec encore plus d’efficacité la réalité, même si les témoignages dans « Hissène Habré, une tragédie Tchadienne » nous replongent dans les perpétuelles cruautés humaines avec une association qui œuvre pour que tant d’horreurs ne se reproduisent pas, comme on disait déjà en 18, en 45, après L 627…
« Another country » au sujet des aborigènes, ne va pas très loin, alors que « Comme des lions » en terre prolétaire du côté d’Aulnay, nous emmène en des lieux, loin des projecteurs habituels, avec des ouvriers, des syndicalistes dignes, de belles personnalités .
Mon préféré, parce qu’un peu relégué au second rang par les commentateurs, le chaleureux et dérangeant « Willy 1er », nous fait pénétrer dans la France dite périphérique, en élevant un récit intime à l’universalité par une compréhension venant à bout de la violence.
« Chouf », film policier bien construit, nous instruit sur la vie des quartiers Nord de Marseille, moins humides que ceux de Manille dans « Ma Rosa » mais tout aussi structurés par l’économie de la drogue.
Si nous ne pouvons nous empêcher d’être catégoriques à l’instar des critiques que nous critiquons, nos jugements peuvent évoluer parfois.
J’ai découvert les richesses du roumain « Bacalauréat » après discussion et pris des distances avec quelques souvenirs aux fragrances de patchouli  qui me masquaient la poésie de pacotille de Jodorowsky, tellement imbu de lui-même dans « Poésia sin fin ».
Nous aimons saisir l’occasion de connaitre quelques films des antipodes, rarement distribués par ici :
le sympathique « Alex and Eve » parle d’une rencontre entre une libanaise et un grec à Sydney,
« Looking for Grace » est remarquablement monté,
et « Force of destiny » au titre pourtant un peu ronflant, relate avec élégance, une tragédie.
Les films israéliens nous deviennent familiers :
« Une semaine et un jour » évoque les attitudes contrastées d’un couple pour survivre à un deuil et « Derrière les montagnes et les collines » montre, comme le film libanais « Tramontane », la folie des habitants de ces pays, sous des musiques séduisantes.
Le beau « Ixcanul », décrit au Guatemala, la quête d’un ailleurs, aussi universel que le film d’animation franco-suisse « Ma vie de courgette » qui met en scène l’enfance, sans mièvrerie ni stéréotype : des adultes réparent ce que d’autres adultes ont déchiré.
Dans deux films sur trois, au moins une scène se déroule dans un hôpital.
Chiens, petits chats, cochons, serpents et singes jouent souvent un rôle, et les mères sont toujours aussi courageuses.
Parmi les réalisateurs que je connaissais, Marco Bellochio tient son rang dans le classique « Fai bei sogni», par contre la déception vient des Dardenne dont « La fille inconnue » peut le rester.
Et je ne courrai sans doute pas vers de nouvelles créations de celui qui a réalisé « Tombé du ciel » dont l’humour ne m’a pas fait sourire du tout, ni vers le mystique soufi « Mimosas », un peu suffisant offrant pourtant un moment d’apaisement dans notre frénésie filmique qui risque de se prolonger après le « Voyage à travers le cinéma français » de Tavernier.
Ce premier aperçu de 3 heures annonce d’autres épisodes appétissants. Il rend hommage aussi bien à Eddie Constantine qu’à Godard, Gabin et Truffaut, une façon d’apaiser mes remords d’avoir été si intolérant du temps « vague » de ma jeunesse.

mardi 3 mai 2016

Le Postillon. Printemps 2016.

Pour la prochaine livraison du bimestriel, je ne vais pas concourir pour « La palme du fayot » à laquelle j’ai été nominé cette fois, car présentement j’ai trouvé la feuille satirique chiche en verte sève qui conviendrait pourtant à la saison.
L’humour dispensé avec finesse est réservé à Ferrari le président de la Métro qui les attaque en justice, mais ne se montre guère dans d’autres rubriques.
Certes le compte rendu de la mobilisation  contre la loi travail est honnête, en évitant de décrire des foules unanimes pour des réunions préparatoires entre initiés. Mais leur appréciation de la frilosité de la municipalité de Grenoble vis-à-vis de « Nuit debout » souffre visiblement de délais de bouclage qui figent certaines positions alors que des évolutions notoires font que Grenoble ne fut pas en queue des manifestations. 
Et pourtant il me semble que dans ce type de rassemblement, les sarcastiques journalistes devraient se sentir comme poissons dans l’eau.
Un quart du journal (4 pages sur 16) consacré aux compteurs Linky, m’a semblé excessif, d’autant plus que le dossier factuel n’est guère argumenté ; leur proximité avec l’association « Pièces et main d’œuvre » dicte les thématiques mais n’alimente guère un raisonnement probant. En ce qui me concerne je ne vois pas de mal à ce que l’entreprise nationale rationalise sa production d'énergie et innove. C’est mon côté archaïque : service public et bigot du progrès, piégé et manoeuvré.
La valorisation du travail de l’école du Chatelet en cinéma n’est pas éloigné des photographies qui illustrent quotidiennement dans les éditions locales, sorties d’élèves et autres activités des classes qui ne soient pas « entre les murs » de leurs collègues du « Daubé », pourtant toujours méprisés.
Quelques lignes  concernant le domaine culturel où les occasions de s’inquiéter ne manquent pas, voire un entrefilet concernant la voie ferrée Lyon -Turin qui me semble un enjeu majeur, auraient pu venir en place du sempiternel article concernant la vidéo surveillance.
Vivement l’été.
…….
Je m’accorde un pont de trois semaines pour cause de cinéma à Cannes et de tout petits à chouchouter.
Reprise des articles le mardi 24 mai.

lundi 2 mai 2016

Dégradé. Tarzan Arab Nasser.

Treize femmes attendent, clientes ou travailleuses, à l’intérieur d’un salon de coiffure étouffant à Gaza. Les garçons se canardent à l’extérieur et les femmes, dont la magnifique Hiam Abbass, avec leurs dilemmes : carré ou dégradé, sont de vraies résistantes aux jeux absurdes des mâles pétaradants. Nous transpirons avec elles et subissons les coupures d’électricité mais le maquillage de la future mariée est quelque peu longuet et la variété des personnages en atmosphère confinée déjà aperçue. « Caramel » 2.

dimanche 1 mai 2016

Yātrā. Andres Marin & Ensemble Divana.

Dans le cadre du festival « Détours de Babel », la MC2 recevait un orchestre traditionnel du Rajasthan pour accompagner des danseurs de flamenco et de hip hop.
La dernière fois que les deux danses se sont rencontrées avec Montalvo c’était plutôt drôle,
cette fois la démarche pédagogique était privilégiée.
« Yātrā » signifie « voyage » en sanscrit, le latin des hindous.
L’orchestre composé, comme le précisait le programme, d’une vielle, d’un kamanchiya, instrument à cordes frottées, d’un dholak instrument à percussion et de castagnettes (kartal) jouées avec entrain et  jovialité, soutiennent des chants qui peuvent faire penser à des sonorités arabes d’une puissance impressionnante, en plus rude.
Au début, le danseur de flamenco impose ses claquements ferrés avec son allure traditionnelle de coq macho qui ferait passer Aldo Maccione pour un parangon de discrétion.
Nous avions connu, ici, de plus riches heures de flamenco qui recèle rien moins que « les trois mémoires de l'Andalousie, mêlées de façon inextricable : la musulmane, savante et raffinée ; la juive, pathétique et tendre ; la gitane enfin, rythmique et populaire ».
Si les gitans viennent d’Inde, cette danse s’accorde pourtant moins bien, à mon avis, que le hip hop qui capte toutes les lumières, malgré les regards rogues du bailaor et ses postures de domination. La filiation était incontestable avec le kathak  auquel nous avait habitué Akram Khan qui faisait naître plus évidemment les émotions
La  musique indienne de ce soir, ondoyante, convient bien aux contorsions de la danse urbaine, augmentée parfois d’une batterie ainsi que de sons aux stridences contemporaines.
En guise de préliminaire, quelques défis m’ont semblé sans surprise, les séquences de hip hop, certes spectaculaires, se succédant comme des performances  juxtaposées.
Et puis le dialogue a avancé, comme en témoignaient les applaudissements de plus en plus convaincus : claquements agiles des talons et bavardes castagnettes, volutes des bras, énergies complices.
Du groupe d’amis qui s’est retrouvé à la fin du spectacle, enfant gâté par le souvenir d’émotions plus fortes, je fus, je pense, le moins enthousiaste, bien que j’aie passé une soirée agréable.