vendredi 8 septembre 2017

Célébrations.

Pour respecter le principe de précaution qui tant nous guide : il vaut mieux ne pas prévoir qu'on ne s’abreuvera plus jamais à la fontaine des appréciations archaïques .
Ainsi je pense encore que tout est politique, depuis le temps où « les travellings étaient affaire de morale » comme disait Godard.  
Pourtant en ce qui concerne la politique en ses partis, la vision pour fronton de cathédrale de l’enfer et du paradis correspondant à « droite » et « gauche », très sérieusement érodée, pèse sur nos paupières.
Lors des dernières élections se sont rejouées, deux visions du monde sous les étiquettes explicites des « Frondeurs&Front Front » affrontant les « En marche », pessimistes  contre optimistes, comme dans la BD de Lucky Luke entre les O'Timmins et  les O'Hara.
En tant que pessimiste à peine repenti, doublé d’un tourmenté en proie à l’inquiétude, je me trouve dans la posture des anciens communistes qui finirent au Figaro ou comme les traîtres de droite qui deviennent les pires contempteurs de leurs anciens collègues.
Mais dans des épisodes de ravissement, j’en suis à rendre grâce à l’ami qui aime brûler des cierges dès qu’il entre dans une église pour remercier le jour et joindre une petite flamme à quelques cierges fuligineux que ce soit sous des voûtes grandioses ou des chapelles intimes.
Moi le mécréant, le nez dans la fourmilière ou les yeux perdus dans les trous noirs vus sur écrans, j’ai appris à apprécier le temps, ses rouages, ses nuages, et oser dire que la vie est un cadeau merveilleux de chaque minute.
Cette benoîte sagesse n’est pas qu’une attitude d’estivant, un panthéisme tardif, accentué d’un gâtisme frotté aux douleurs de proximité qui imposerait un crépusculaire : « Carpe Diem ».
Je ne veux plus perdre le temps de jouir de récriminations perpétuelles, d’oppositions systématiques, de grogne atavique, d’insoumission recuite…
Pourquoi les minoritaires auraient raison par nature quand les suffrages ont parlé, pourquoi le gouvernement aurait faux à tous coups, pourquoi l’insurrection saisonnière serait préférable au calme démocratique?
Le cocktail Molotov serait-il sempiternellement l’accoucheur d’un monde meilleur et l’invective un langage ordinaire pour de systématiques procès d’intention?
Nous ricanions quand Marcellin traquait "le chef d’orchestre clandestin" qui aurait guidé  les gauchistes, maintenant j’entends quelques premiers violons mal accordés évoquer de pervers médias et d’obscurs vicieux agissant dans l’ombre des pouvoirs.
Tant de représentations manichéennes jouées trop souvent en feraient oublier l’interminable lutte pour plus d’égalité. 
A l’abri de ces paysages tracés au lance-flammes, le grillon du foyer rassure.
Lorsqu’au cinéma, américain, une famille se mettait à prier avant de prendre un repas, je voyais  une aliénation manifeste, un archaïsme ; aujourd’hui, je me demande si nous célébrons assez souvent les cuistots, les responsables?
Blague:
En pleine brousse, un missionnaire se retrouve nez à nez avec un lion à l'air peu aimable.
- Seigneur, s'écrie-t-il, inspirez à cette bête des sentiments chrétiens !
Alors, le lion se couche aux pieds du missionnaire et dit :
- Seigneur, bénissez ce repas que je vais prendre.
Devant réfrigérateur et micro-ondes, depuis que quotidiennement Picard est dans la place et que le camion à pizzas y stationne aux quatre saisons : merci chef, cheffe ! Quand ils prennent le tablier.
En ce qui concerne les maîtres de l’heure : pas de prosternation, mais un peu de décence dans la descente des responsables qui prennent leurs responsabilités. Quelles sont les propositions alternatives crédibles ?
…………………
Ci-dessous un dessin du « Canard » et un du « Point ».

jeudi 7 septembre 2017

Nils Udo. Gilbert Croué.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble rêve d’attendre le lever du jour en compagnie de quelque nymphe depuis le « Nid rouge » construit par Nils Udo, l’artiste bavarois qui compte aujourd’hui 80 printemps. Partons au pays des constructions fragiles.
« Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition »  Marcel Proust
« Sans titre », île de la Réunion : les corolles légères des fleurs de liseron ponctuent  le miroir de l’eau en butant contre une baguette. L’équilibre peut se brouiller, se détruire.
Nils Udo a entrepris des études artistiques dans la ville de Nuremberg détruite, il rejoint Paris dont l’école de peinture est encore réputée dans les années 60, mais renonce pour longtemps à des artifices, au synthétique, au trompe l’œil, aux redites, en revenant au bord du lac de Chiemsee.
Dans son « Hommage à Gustave Malher » dont la Symphonie n° 3 en ré mineur s’intitule : « La voix de la nature en marche », cet autel éphémère sur un terrain remodelé n’emprunte qu’aux éléments prélevés sur place : peupliers, tiges de frênes, bannissant tout lien artificiel.
Il immortalise ses installations en les photographiant en série limitée, comme les graveurs.
« Je peins avec les nuages, dessine avec les fleurs»
« Le nid », lieu de naissance et de protection, tient une place importante dans ses nombreuses productions.
Des matériaux très divers peuvent être utilisés comme le font insectes et oiseaux pour des formes variées, ainsi « l’oiseau jardinier ».
Comme les présences humaines sont rares, elles sont saisissantes : « Waternest »
Il s’approche de l’eau, depuis la source jusqu’à la mer, échafaude un délicat « Nid d'eau », avec des roseaux en hiver et en été,
un  « Autel de rivière » antique rituel de l’homme accédant à un langage symbolique afin d’honorer les âmes,
une « maison d’eau » où une cage joue avec les marées.
Les couleurs depuis des jus de feuilles d’ail des ours, de baies d'obier, éclatent dans « Nid d'hiver » 
ou simplement avec des baies du sorbier dont le rouge électrise le vert, « Sans titre ».
Des pétales dites « Langues de feu » étaient toutes indiquées pour souligner une fissure dans une coulée de lave à la Réunion.
Plus subtilement, des feuilles de cerisier peuvent composer un nuancier avec osier, feuilles de marronnier à  Equevilley « Sans titre »
Des branches composent des cadres de tous formats qui sollicitent le regard  comme dans le « Petit lac vallery »
A Mexico, il dégage des « racines »,
à Aix la Chapelle il lui a fallu de la patience pour enfiler les baies de sorbier sur des tiges d’osier à insérer aux flancs de « genévriers ».
« Baie » affronte vitesse et stabilité.
Les « dessinateurs de jardin » (topiarius) depuis les temps antiques, taillent, « tyrannisent » la nature comme disait Pline l’ancien, c’est l'art topiaire comme à Marqueyssac. 
Et s’il est revenu récemment à la peinture « Sans titre »
Nils Udo se distingue de ses contemporains du land art
 « Ce qui m'intéresse, c'est le fait que les choses vivent, se développent et meurent. C'est toute la nature qui m'entoure. Je m'y intègre, je travaille au rythme des saisons »
A Chaumont sur Loire au festival des jardins sur le thème de « Grand et petit » sa « Forêt de Gulliver » allait de soi. 
Comme son « Temple végétal » à Hauterives en hommage au  facteur Cheval qui avait appelé son « Palais idéal » édifié pendant 33 ans «  Temple de la nature ».
Dans ces contrées où se préserve l’enfance, Bachelard s’invite :   
« Enfants, on nous montre tant de choses que nous perdons le sens profond de Voir. Voir et montrer sont phénoménologiquement en violente antithèse. Et comment les adultes nous montreraient-ils le monde qu'ils ont perdu ! »

mercredi 6 septembre 2017

Pourquoi Venise ?

Pour raviver des couleurs perdues dans les brumes hivernales des souvenirs.
Pour revenir en un lieu classique des classiques où tant d’amoureux, de mourants aux pieds de Visconti, ne peuvent se tromper d’adresse.
Pour grouiller avec mes contemporains et faire preuve ainsi d’une originalité sage et fade.
Pour, Régis Debray, mon maître, qui écrivit «  Contre Venise »
« L’admirable Venise devient désolante dès lors que sa grâce légendaire se consume dans le spectacle apprêté de son propre prestige. »
Pour les vierges dorées du fond des âges et  quelques résines contemporaines, spritz et bières internationales ou artisanales comme chez nous, Canaletto sur magnets plutôt que dans les musées où découvrir Bassano, un costaud.
Pour contredire ceux qui  répètent que l’Europe n’est qu’une affaire, sans culture, sans cœur. 
Se sentir chez soi en prenant son ticket de train à Mestre pour quelques hectomètres qui mènent de la terre ferme aux îles.
Iles merveilleuses, miraculées de la boue, hérissées de clochers, couvertes de coupoles, parcourues de ponts entre façades prestigieuses et murs suintants, miracles de briques et de marbres.
La grâce et l’audace des hommes.

mardi 5 septembre 2017

Vie de merde au boulot. Choubi .Valette, Passaglia. Guedj.

J’ai ouvert cet album, sachant le succès du site éponyme sur Internet où quelques malchanceux se consoleraient bien facilement avec les malheurs des autres.
Mes réticences nées d’un pareil titre se sont aggravées avec le graphisme rétro qui enracine cet humour dans la ringardise.
Pourtant l’hystérisation des rapports humains dans l’entreprise et au delà est bien contemporaine, le burn-out un mal du siècle, mis à toutes les sauces.
Mais le mélange d’histoires de cocufiage, avec farandole de pets ou rôts malencontreux, la litanie de confusions de noms et intrusions inopportunes, les réveils à la mauvaise heure et le zèle mal récompensé, n’arrache pas un sourire.
A raison d’un gag par page, genre «  aujourd’hui j’ai la tête dans le cul » -décidément- nous nous retrouvons gênés comme ces élèves impassibles devant le prof écroulé de rire parce qu’il vient de proposer « de chercher le point G du plan Q ».

lundi 4 septembre 2017

Gabriel dans la montagne. Fellipe Gamarano Barbosa.

Le film bascule quand le jeune brésilien retrouve son amoureuse à Zanzibar.
La jeune fille ramène à la décence le jeune idéaliste déguisé, ignorant les interdits, enfant gâté en immersion exotique en Afrique de l’Est.
Leur discussion concernant l’orthodoxie économique, teintée d’enjeux sentimentaux, marque l’ambition politique de ce beau film émouvant, épousant les contradictions de ses personnages sincères et changeants.
Allant au bout de sa liberté, sautillant de rochers en rochers, l’ardent potache trouvera la mort. Nous le savons depuis la séquence initiale.
Le réalisateur, qui a connu le héros  issu de la bourgeoisie de Rio, reconstitue son parcours initiatique, jusqu’à chausser l’interprète des sandales du défunt et faisant jouer les différentes personnes qu’il avait rencontrées pendant son périple d’un an.
Film riche, interrogeant les touristes que nous sommes, lors de notre rencontre avec les autres, avec nos compagnes, avec nous-même.

dimanche 2 juillet 2017

Angelus novus Antifaust. Sylvain Creuzevault.

Ce théâtre m’a procuré les mêmes sentiments contradictoires que certaines productions d’art contemporain: des fulgurances poétiques, de l’énergie, de l’inventivité, mais quel fatras !
A l’entracte du spectacle de trois heures, un quart des spectateurs ne sont pas revenus, pourtant les acteurs sont investis, voire excellents, quand par exemple une conférencière vampirise son collaborateur.
Mais pourquoi s’adosser à Faust, à  « Angelus novus », un tableau de Paul Klee qui représentait pour  le philosophe Walter Benjamin « l’Ange de l’histoire » ? 
De la même façon qu’un brouillard artificiel est envoyé sur les gradins, nous sommes enfumés par tant de références qui font regretter aux mauvais élèves de ne pas être restés devant un quart de finale de la coupe de la ligue.
D’autre part, les allusions trop précises au contexte politique actuel avec « démocratie participative » et name dropping renvoie à des images de Guignols de l’Info, plutôt qu’à une réflexion sur les dérives ou les enjeux de la présidentielle.
Alors resteront certains beaux tableaux,
mais les destins d’un docteur en biologie et son double,
de Marguerite Martin prix Nobel et son double
et d’un chef d’orchestre devenu chef d’état nous importent peu,
pas plus que nous n’ayons pu identifier quelque démon.
De belles voix curieuses engoncées sous de raides postures participent à un intermède, lâchant quelques mots grossiers sur fond de musique atonale, tout en se défaisant de leurs masques. Le thème est récurrent dans la pièce déstructurée où  des effets de panneaux mobiles sont intéressants, comme sont inquiétants des regards aux lentilles hallucinées.
L’effet de curiosité qui m’avait fait revenir après une première expérience risque d’être épuisé: 
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Je reprends la publication d'articles lundi 4 septembre.
Bel été à mes lectrices et lecteurs.

samedi 1 juillet 2017

Un été avec Machiavel. Patrick Boucheron.

Dans la clarté d’un jour d’été qui a attendu la délivrance des orages, ces 145 pages reprenant une série d’émissions de radio, en conservent toute la fluidité pédagogique.
Nous sommes conviés à aller au-delà de la réduction au « machiavélisme » de l’œuvre du florentin sans cesse renaissant :
«  Tenter la fortune car elle est l’amie des jeunes gens et changer selon les temps ».
Nous y sommes.
« Il m’est apparu plus convenable d’aller tout droit à la vérité effective de la chose qu’à l’image qu’on en a ».
Le moment serait « machiavélien » : « Cette indétermination des temps dès lors qu’un idéal républicain se confronte à sa propre impuissance, à l’usure des mots et à l’opacité de la représentation, à ce qu’on appellerait aujourd’hui la fatigue démocratique. »
Nicolas « annonce les tempêtes, non pour les prévenir, mais pour nous apprendre à penser par gros temps.»
Sommes nous ces princes à qui était destiné «  Le Prince » écrit dans un moment de disgrâce, comme les notations biographiques le précisent, pas seulement pour égayer le propos, mais percevoir comment se relient action et réflexion ?
Comment ne pas rapprocher les propos de Frédéric Lordon lors des « Nuits debouts »:
« Nous ne sommes pas ici pour être amis avec tout le monde, et nous n'apportons pas la paix»  
avec le lucide conseiller né en 1549 ?
«  Aussi est-il nécessaire à un prince, s’il veut se maintenir, d’apprendre à pouvoir ne pas être bon et d’en user et de n’en pas user, selon la nécessité. »
Ces désordres qui fascinent, effraient ou attirent, sont, comme le précise l’historien à la mode, bien en chaire au Collège de France, des « humeurs », utilisant une métaphore de la médecine d’alors :
« La bonne santé du corps social résulte de l’équilibre de ses humeurs, c'est-à-dire non pas d’un ordre politique qui nierait les troubles, mais d’une organisation des désordres sociaux. »
Il reste du travail, car tout le monde est loin d’être animé par le principe du doute, «  premier ressort de la connaissance » :
« Dans ce pli s’énonce la politique, qui ne vaut que si elle est mise au défi des contingences et des fatalités par la reconnaissance d’une puissance d’agir indéterminée.»
Hollande aurait dû travailler son Machiavel, même dans cette version «  pour les nuls » qui m’a parfaitement convenu.

Le dessin est de Soulcié qui dessine à Télérama ou pour Médiapart.